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Le styliste le plus connu au monde s’est éteint mardi 19 février. Pendant plus de trois décennies, il avait supervisé la création de la maison Chanel, tout en collaborant avec de nombreuses marques, dont Fendi. Aussi sensible que despotique, Karl Lagerfeld avait fait de son personnage une marque à part entière, propulsant la couture dans une nouvelle ère. Retour en deux volets sur l’héritage d’un couturier hors norme.
« Avec Karl Lagerfeld s’éteint un génie créatif qui a contribué à faire de Paris la capitale mondiale de la mode et de Fendi l’une des maisons italiennes les plus innovantes. Nous lui devons beaucoup : son goût et son talent étaient les plus exceptionnels qu’il m’ait été donné de connaître. (…) Je retiens de lui son immense imagination, sa capacité à susciter chaque saison de nouvelles tendances, son énergie inépuisable, la virtuosité de ses dessins, son indépendance soigneusement gardée, sa culture encyclopédique, et la drôlerie des mots d’esprit dont il emporte le secret. Le décès de cet ami très cher m’attriste infiniment, ainsi que mon épouse et mes enfants. Nous l’aimions et l’admirions profondément. La mode et la culture perdent un grand inspirateur », a déclaré le 19 février Bernard Arnault.
« Label vivant »
A l’image du président-directeur général du groupe LVMH, le monde de la mode est en deuil après la disparition du légendaire créateur Karl Lagerfeld. Véritable superstar de la couture, le styliste était aussi un expert du marketing et de la communication, se mettant en scène comme nul autre. Col cassé Weimar, catogan, lunettes noires Beverly Hills, costume cintré – un vestiaire emprunté au début des années 2000 à Hedi Slimane, Lagerfeld perdant, pour entrer dans les costumes du designer de Dior Homme, plus de 40 kilos à la suite d’un régime draconien : la silhouette même du couturier était devenue un produit, un pictogramme immédiatement reconnaissable dans le monde entier.
Et son nom, une marque à part entière : « je suis un label vivant, déclarait-il ainsi. Mon nom est Labelfeld et pas Lagerfeld ». Le couturier a ainsi lancé, en 1984, sa propre griffe de prêt-à-porter. Vingt ans plus tard, il contribue à la première « collection capsule » au monde, en association avec le géant de l’habillement H&M ; dans les boutiques, les pièces s’arrachent en quelques heures. Il rhabille également une bouteille de Coca-Cola à son effigie et pose, à la fin des années 2000, pour une campagne de sensibilisation de la Sécurité Routière, vêtu d’un gilet réfléchissant. Le slogan ? Du pur Lagerfeld : « C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie ». Impeccable.
Facétieux, gai, aussi généreux que volontiers moqueur, voire cassant, Karl Lagerfeld était avant tout un travailleur acharné, dessinant infatigablement les modèles de ses futures collections ; « mon fonds de commerce, ça a toujours été de travailler plus que les autres pour leur montrer leur inutilité », a-t-il ainsi affirmé avec mordant. Le réalisateur Loïc Prigent rendra hommage, dans un documentaire intitulé « Karl Lagerfeld se dessine », à cet inimitable talent. Le créateur était également un collectionneur compulsif de livres – il en possédait plus de 300 000 – et ouvrira, rue de Lille sur la rive gauche de Paris, la librairie 7L et une maison d’édition du même nom. Photographe de talent, il ouvre en 1998 la Lagerfeld Gallery, publie de nombreux livres et sera exposé, en 2016, à la Pinacothèque de Paris.
Une succession longtemps inenvisageable
Le 22 janvier dernier, et pour la première fois depuis son arrivée chez Chanel il y a 36 ans, Karl Lagerfeld n’est pas apparu pour saluer à la fin du défilé. Depuis plusieurs semaines, ses apparitions publiques se faisaient en effet rares, laissant place aux rumeurs les plus angoissées. Elégant jusqu’au bout, le créateur aurait prétendu auprès des rédactrices de mode, invitées la veille de son dernier défilé, s’être foulé la cheville pour excuser son état de fatigue. « Le passé ne m’intéresse pas, on ne s’y intéresse que lorsque les gens sont morts », déclarait celui qui refusait d’envisager son enterrement : « plutôt mourrir », répondait-il avec l’ironie qui signait ses saillies.
De fait, la plupart des acteurs de la mode se sont refusés jusqu’au bout à envisager la succession d’un styliste qui affirmait n’avoir « que des contrats à vie », selon la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué. Bernard Arnaud disait ainsi que « sa succession (chez Fendi), je ne veux pas l’envisager. D’ailleurs, nous n’en parlons jamais. Le seul cas semblable à celui de Karl, c’est le pape, vous savez ». Hier, la maison Chanel a fait savoir par voie de communiqué que « c’est à Virginie Viard, directrice du studio de création mode de Chanel et la plus proche collaboratrice de Karl Lagerfeld depuis plus de 30 ans qu’Alain Wertheimer (copropriétaire de Chanel) a confié le soin d’assurer la création des collections pour continuer de faire vivre l’héritage de Coco Chanel et de Karl Lagerfeld », ce dernier considérant Mme Viard comme son « bras droit et bras gauche à la fois ».
Conformément à sa demande, les cendres de Karl Lagerfeld devraient être mêlées à celles de sa mère et de son grand amour, Jacques de Bascher. Quant à son autobiographie, « je n’ai pas besoin de l’écrire, je suis en train de la vivre », disait avec le panache qu’on lui connaissait ce monstre sacré de la mode et de la couture.