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Emmené par Maria Grazia Chiuri, le dernier défilé croisière de Christian Dior a misé sur une réinterprétation africaine des codes de la maison. Un show spectaculaire, qui témoigne de l’importance acquise progressivement par ces collections de mi-saison.
« Common ground » (« terrain d’entente) : on ne pouvait imaginer meilleure inspiration pour nommer la nouvelle collection croisière de la Maison Dior, placée sous le signe du dialogue des cultures. C’est à Marrakech, dans l’enceinte du palais El Badi – littéralement, « le palais de l’incomparable » –, un gigantesque ensemble architectural datant du XVIe siècle, qu’illuminés par des centaines de brasiers et bougies flottant sur une pièce d’eau ont défilé, le 29 avril, les modèles dessinés par Maria Grazia Chiuri. Un parti-pris assumé par la directrice artistique de la mode femme, selon qui Marrakech « est le point de rencontre entre les cultures européennes et africaines ».
Des collaborations avec des artistes et créateurs africains
Le choix de la « ville rouge » ne doit rien au hasard. Christian Dior cultive une longue histoire avec le Maroc, où dans les années 1950, le couturier s’est associé avec Joste, une maison marocaine réalisant sur place certains de ses modèles et les diffusant dans toute la région, ce qui assura au styliste français une notoriété dans l’ensemble du bassin méditerranéen.
La ville est aussi marquée par l’héritage d’Yves Saint Laurent qui, avant de fonder sa propre griffe, fut directeur artistique de Dior de 1957 à 1960. « Marrakech a toujours attiré les artistes et la beauté, de Lisa Fonssagrives et Talitha Getty à Cecil Beaton et Irving Penn. Je voulais capturer cette magie en travaillant avec des artistes, des créateurs et des artisans africains », confie Maria Grazia Chiuri dans les colonnes du Point.
De fait, celle collection Croisière 2020 a, en grande partie, été réalisée sur le continent africain. Si la silhouette Dior reste intemporelle – bustes étroits, pantalons larges, vestes Bar, toile de Jouy –, elle est revisitée par l’artisanat africain, sublimé par la collaboration de nombreux artistes locaux. Le Wax, cet imprimé bariolé iconique du continent, est réinterprété par la société ivoirienne Uniwax, l’une des dernières usines fabriquant, à Abidjan, ce tissu de manière traditionnelle : lions dans toute leur splendeur, papillons géants, flamants roses et autres tigres toutes dents dehors offrent un effet psychédélique garanti.
Sans oublier la touche colorée de Pathé Ouedraogo, dit Pathé’O, connu pour avoir habillé Nelson Mandela – dont le portrait figurait sur la chemise portée en ouverture du défilé –, la créatrice anglo-jamaïcaine Grace Wales Bonner, lauréate du prix LVMH en 2016, qui revisite le New Look, ou encore l’artiste afro-américaine Mickalene Thomas et ses broderies « 3D ».
L’artisanat marocain n’était pas en reste, l’association locale Sumano ayant réalisé avec soin les somptueux coussins imprimés qui ornaient le défilé, mais aussi la vaisselle du dîner d’accueil, donné aux chandelles dans l’une des cours du palais de la Bahia.
« Aujourd’hui la mode, c’est plus que des vêtements, justifie Maria Grazia Chiuri dans les pages du Monde. Pour les marques, impossible de ne pas prendre en compte des sujets comme l’appropriation culturelle ou le post-colonialisme. Dans une entreprise aussi globale que la nôtre il nous paraît important de s’ouvrir aux expériences et aux points de vue différents culturellement. De cette façon, on change de perspective sur nos propres codes esthétiques et créatifs ».
Les collections croisières, évènements les plus courus de la planète mode
Ouvrant, avant Chanel à Paris, Gucci à Rome ou Louis Vuitton et Prada à New York, le bal des défilés croisière 2020, Christian Dior a donc mis les petits plats dans les grands pour ravir ses quelque 800 invités triés sur le volet. L’enjeu est de taille pour les grandes maisons de luxe, ces collections de mi-saison étant les plus rentables pour elles.
Ces dernières rivalisent donc d’imagination pour sélectionner les emplacements les plus spectaculaires et offrir les shows les plus grandioses à leurs clients fortunés, qui apprécient l’exclusivité de ces évènements aussi exceptionnels qu’éloignés de l’effervescence des Fashion Weeks traditionnelles – une manière, aussi, d’affirmer que la mode et les tendances ne se décident plus uniquement dans les grandes métropoles occidentales.