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Le Brooklyn Museum consacre une importante rétrospective à Pierre Cardin, l’immense créateur franco-italien, premier couturier à être élu membre de l’Académie des beaux-arts…
Pierre Cardin n’a « aucun » regret, ce qui explique peut-être l’optimisme tranquille qu’il laisse apparaître lorsque Le Point l’interroge sur ces 100 ans, qu’il fêtera en 2022 : « Si je suis encore là, je ferai une belle fête ! Sinon, j’aurai vécu intensément ».
C’est le moins que l’on puisse dire. « Le Petit macaroni », comme on l’appelait à son arrivée en France, avait dû fuir l’Italie au milieu des années 1920. Ses parents, des riches agriculteurs vénitiens, avaient tout perdu après la Première Guerre mondiale, et l’arrivée de Mussolini «n’a rien arrangé».
Dans les années 40, une diseuse de bonne aventure lui prédit un avenir prodigieux. « En trente ans de carrière, je n’ai jamais vu une vie aussi exceptionnelle que la vôtre. Vous allez réussir brillamment. Jusqu’à votre mort, votre nom sera partout dans le monde », lui a-t-elle promis.
Pierre Cardin allait en effet révolutionner le monde de la mode. Il débute en 1946 chez Dior, maison qu’il quitte en 1950 pour fonder la sienne. Le succès est « immédiat ». « J’ai eu la chance d’être formé chez les meilleurs : Paquin, Dior, Schiaparelli. Christian Dior m’a d’ailleurs envoyé mes premiers clients. J’ai fait presque tous les costumes du bal que Charles de Beistegui a donné à Venise », se souvient-il.
Les Beatles s’en inspirent
Mais la véritable révolution commence en 1953, lorsque sa première collection futuriste le rend célèbre tout en annonçant d’âpres controverses. En 1954, alors que les « robes bulles » font parler de lui dans le monde entier, le couturier inaugure sa première boutique « Eve », rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris. Son objectif : poser les bases d’une production de prêt-à-porter en parallèle à la haute couture. « J’ai pressenti la transformation de la société. Les femmes allaient de plus en plus travailler et ne pouvaient pas aller au bureau en robe haute couture. Là encore, la profession ne m’a pas couvert d’éloges. J’entends encore Pierre Bergé marteler : « Cardin, quelle vulgarité, on n’en entendra plus parler dans trois ans » ».
Le succès de Pierre Cardin ne s’est jamais démenti. En 1959, le créateur devient le premier à présenter un défilé de prêt-à-porter inspiré de la haute couture. En 1960, il lance sa première collection masculine « Cylindre », composée notamment de vestes sans col « avec lesquelles on peut dévisser un boulon de voiture, mais aussi aller au Windsor », explique-t-il.
Pour présenter sa collection, il crée le département « Prêt-à-porter » homme (mode et accessoires) et choisit des étudiants plutôt que des mannequins. Nouvelle controverse. Et nouveau succès : ses vestes inspireront le couturier des Beatles, « qui copie les créations de Cardin pour créer les célèbres cols Mao portés par le groupe en concert, qui leur vaudront le surnom de « têtes d’épingles » », rappelle France Inter.
« Tout a basculé »
Devenu l’un des couturiers les plus influents de l’époque, Pierre Cardin décide de quitter les salons dorés pour occuper la rue, et le monde. Il organise des défilés sur la place Rouge à Moscou, dans la Cité interdite à Pékin, dans le désert de Gobi et même le long de la Muraille de Chine, en septembre dernier.
Mais il a également profité de sa célébrité pour continuer à secouer le monde de la couture. Après la robe bulle et les cols Mao, sont venues la robe « cible » (inspirée de l’art optique et devenue emblématique de la décennie), la ligne « Cosmocorps » (futuriste et unisexe, ce qui n’était pas banal à l’époque), la chasuble à découpe hublot ou encore la robe moulée en fibres synthétiques.
Une carrière décidemment audacieuse qui lui vaut plusieurs rétrospectives mondiales, dont la plus récente est celle que lui consacre le Brooklyn Museum de New York depuis le 20 juillet. « J’ai eu une carrière fulgurante et très enrichissante, j’ai traversé le monde entier, je n’ai rien à regretter », répète celui qui déplore pourtant un certain « manque de personnalité » dans la création contemporaine. « On voit moins de femmes élégantes dans la rue. Je le déplore, d’ailleurs. Les femmes de la haute société imposaient la mode. Maintenant, c’est la rue qui impose la mode. Les femmes du monde s’habillent comme celles de la rue. Tout a basculé ».