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Parce qu’elles se veulent porteuses d’une expérience authentique, qui fait appel à tous les sens, les marques de luxe ont longtemps vu d’un mauvais oeil l’émergence du commerce en ligne. Mais les choses sont en train de changer.
Déjà, parce que les chiffres de vente en ligne sont loin d’être anecdotiques. LVMH a doublé son chiffre d’affaires sur le web en trois ans. Le groupe en a tiré 3,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Chez Kering, on attribue au digital 9% des ventes au niveau mondial.
Le phénomène devrait prendre de l’ampleur avec la multiplication d’initiatives centrées sur un public hyperconnecté, portées par des créateurs et des égéries ayant construit l’essentiel de leur popularité en ligne. Ainsi la marque Fenty, lancée au printemps dernier par la chanteuse Rihanna en partenariat avec LVMH, a connu un démarrage en ligne tonitruant.
Selon le cabinet Bain, le montant des ventes du secteur par le canal digital devrait s’élever à 25% en 2025. Une tendance préfigurée par la Chine, où plus d’un tiers des achats se font déjà par écran interposé. Avec des pratiques surprenantes, relevées par le Monde, comme celle consistant à acheter une Maserati sur le site Alibaba en dix-huit secondes. Cent modèles ont trouvé preneur de la sorte en 2016. Fini le temps où on se rendait chez un concessionnaire pour caresser la carrosserie et admirer la finition des sièges en cuir avant de faire rugir le moteur lors d’un essai privé ?
Pas forcément. Les boutiques ont encore de belles heures devant elles. Déjà, parce qu’il y a les réfractaires comme Chanel, qui continue de tout miser sur son réseau physique. Et puis parce que les autres marques n’ont pas renoncé pour autant aux méthodes classiques. « Le rôle du magasin va changer, explique Toni Bellonni, directeur général délégué de LVMH, mais il restera un pivot du système. » Le maître mot, c’est la complémentarité. Trouver une articulation optimale entre le point de vente physique et les différents canaux digitaux, où « on peut miser sur la personnalisation, être accessible, faire vivre la marque via des vidéos. »
Un nouvel alignement des planètes
Condition préalable à ce saut digital : le contrôle. Le groupe Kering, qui s’est donné pour objectif d’accroître ses ventes en ligne, a commencé par rapatrier en interne les ventes auparavant confiées aux plateformes leaders du secteur. Ainsi, le groupe fondé par François Pinault a-t-il annoncé que les marques Saint-Laurent, McQueen et Balenciaga cesseraient d’être commercialisées sur Yoox-Net-a-Porter en 2020. Explications de Grégory Boutté, responsable du digital : « Nous voulons nous concentrer sur les sites propres de nos marques et sur les concessions en ligne, car l’expérience y est meilleure et cela se traduit par des ventes plus élevées. »
Au coeur du réacteur, les précieuses données, travaillées par des spécialistes – 80 chez Kering – pour détecter les intentionnistes et fidéliser les clients. C’est ainsi qu’un nouvel expert voit son influence grandir au sein des maisons : le chief data officer, garant de la connaissance des goûts du public.
Vendre davantage en ligne implique des changements, non seulement de mentalités, mais aussi dans les méthodes de travail. Il faut s’adapter à un rythme plus rapide, davantage renouveler les produits. Trouver comment renouveler l’expérience d’achat dans le cadre contraint d’un écran de smartphone. Consacrer au digital des moyens de communication nettement plus élevés. En 2018, 40 % des investissements médias de LVMH sont passés par le numérique. Quant à Kering, le groupe a choisi de consacrer ses budgets au digital d’abord, avant les magazines de mode.
Et pour accélérer leur mutation, les maisons n’hésitent pas à investir dans l’innovation. LVMH a décidé d’accompagner 26 start-up hébergées à Paris au sein de l’incubateur Station F. Par exemple Fitle, qui développe des algorithmes capables d’indiquer avec précision aux consommateurs quelle taille conviendra à leur morphologie, une technologie qui a déjà permis d’augmenter de 14% les taux de conversion. Ou encore Orbis, qui voit dans les hologrammes un moyen de réenchanter l’expérience client. Nul doute qu’avec de tels alliés, le luxe, longtemps réfractaire au numérique, ne devrait pas tarder à prendre une longueur d’avance sur les usages de demain.