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Par Guillaume de Sardes
En 1976, Air France met en service le Concorde pour relier Paris à Rio (via Dakar). L’événement marque le début de l’aviation commerciale supersonique. L’année suivante, l’avion, dont l’élégance et la vitesse restent inégalées, relie Paris à New York en 3h30. Pour Air France le prestige est immense. Plus qu’un avion, le Concorde est un symbole. En 2003, soit un peu moins de trente ans plus tard, faute d’être rentable, le supersonique est mis au garage : Air France devient du même coup une compagnie comme les autres. Un peu trop comme les autres, même, tant Air France apparaît aujourd’hui banalisé.
Depuis plus de dix ans, la compagnie peine à se positionner dans un marché de plus en plus dual : low cost d’un côté, haut de gamme de l’autre. Alors qu’Alexandre de Juniac, PDG de la compagnie de 2011 à 2016, décide la montée en gamme d’Air France, son successeur Jean-Marc Janaillac (PDG de 2016 à 2018) fait le choix inverse en lançant Joon, une filiale à bas coût… Choix absurde quand on sait que d’une part le groupe Air France-KLM dispose déjà d’une telle compagnie avec Transavia (filiale de KLM) et que d’autre part le coût du travail est particulièrement élevé en France. À titre de comparaison, les charges de personnel représentent 29 % du chiffre d’affaires d’Air France, contre 22 % chez Lufthansa ou 20 % chez British Airways… Une telle structure de coûts n’est durablement tenable qu’à condition de se positionner sur le haut de gamme.
Ben Smith, DG d’Air France depuis 2018, semble en être convaincu. Aussi a-t-il décidé de renouer avec la stratégie d’Alexandre de Juniac.Le défi n’en reste pas moins grand, tant est rude la concurrence sur ce marché exigeant et coûteux et tant Air France a pris de retard… Si la qualité du service à bord n’a rien à envier aux meilleures compagnies, il n’en va pas toujours de même de l’aménagement des cabines : sur les 106 avions de la flotte long-courrier d’Air France seuls 51 disposent de sièges « full flat » en Business, c’est-à-dire convertibles en lit, et d’une configuration de cabine « full access » permettant à chaque passager d’avoir accès à l’un des deux couloirs de l’avion sans devoir enjamber un autre voyageur. Poursuivre la mise à niveau des cabines est nécessaire mais onéreux, le prix catalogue d’un siège de classe affaires s’élevant à près de 50.000 euros. La stratégie de montée en gamme d’Alexandre de Juniac, initiée à partir de 2014, qui n’avait pourtant concerné que la moitié de la flotte, avait coûté 750 millions d’euros.
Compte tenu de la faible compétitivité d’Air France (le résultat d’exploitation a été en 2018 de 266 millions d’euros), on voit donc mal comment les investissements à venir pourraient se faire sans une mobilisation des actionnaires. Ces investissements devraient en outre s’accompagner d’une réflexion sur les meilleurs moyens de rendre à Air France son lustre d’antan. Faute de pouvoir refaire voler le Concorde, Air France a besoin de nouveaux symboles. Au début de l’été, la compagnie et le groupe hôtelier Accor ont relié leurs programmes de fidélité. C’est un début, mais il faut aller plus loin – pourquoi pas en initiant des partenariats entre Air France et des acteurs prestigieux du monde du luxe français ? La compagnie n’aurait-elle pas tout à gagner en s’alliant intelligemment avec les champions nationaux que sont LVMH ou Kering afin de repenser par exemple son offre Première classe ?