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Konstantin
Lukin
Grand, concentré, Konstantin Lukin parle d’une voix posée. Bien qu’encore jeune, il occupe une place éminente dans le milieu de la mode russe. Il a fondé sa propre marque de vêtements dès 1999 (Fabric Fancy), un magazine (Dress code) et le Syndicat de la Couture de Saint-Pétersbourg. Il a accepté de nous recevoir à l’occasion du défilé qu’il a organisé le dimanche 29 septembre à Paris, dans les Salons Hoche, en marge de la Fashion Week. L’occasion d’en savoir un peu plus sur le marché de la couture russe.
Guillaume de Sardes : Pourriez-vous nous dire quelles ont été les grandes lignes de votre parcours ? Comment êtes-vous entré dans le milieu de la mode russe ?
Konstantin Lukin : Cela a eu lieu un peu par hasard, car ma formation universitaire est tout autre. J’ai étudié à l’École polytechnique de Saint-Pétersbourg (une des meilleures écoles de Russie), où j’ai obtenu un doctorat de Sciences et techniques. J’étais davantage destiné à travailler comme ingénieur ou comme économiste, mais ma rencontre avec Sergey Khromchenkov a changé le cours des choses. Lui était styliste. Nous sommes devenus amis et nous avons décidé de lancer ensemble une marque. C’était en 1999. Il faut imaginer le contexte de l’époque : l’Union soviétique avait disparu depuis seulement huit ans, c’était la fin des années Eltsine marquées par une entrée brutale dans l’économie de marché. Tout était à faire ! Nous avons ainsi été les premiers à lancer une maison de couture à Saint-Pétersbourg.
Guillaume de Sardes : Il n’existait donc pas un milieu de la mode dans lequel vous auriez dû entrer ?
Konstantin Lukin : Non, ce milieu, c’est nous et quelques autres qui l’avons créé. En Europe, au début des années 2000, il y avait déjà énormément de marques de vêtements célèbres, la mode avait une histoire, il y avait des magazines mythiques, de grands photographes. En Russie, il n’y avait rien de tout ça. Nous sommes partis d’une page blanche. Il n’existe plus que trois ou quatre marques datant de cette période, celles qui ont su évoluer, s’adapter. Les autres ont disparu. Dans les années 2005, 2006, 2007, qui correspondent à celles du boom économique, il y a eu une deuxième vague de créateurs. Aujourd’hui, on assiste à la montée d’une troisième vague : de jeunes créateurs se lancent à travers les réseaux sociaux, ils sont très connectés et influencés par ce qui se fait dans le reste du monde, mais ils manquent de financement et leurs marques restent locales.
Guillaume de Sardes : C’est pour structurer ce milieu de la mode russe que vous avez lancé un magazine et que vous avez créé le Syndicat de la Couture de Saint-Pétersbourg ?
Konstantin Lukin : Oui. Je me suis inspiré de ce qui existait en France, notamment de la Chambre Syndicale de la Haute Couture. J’ai eu la chance de rencontrer Didier Grumbach qui m’a donné quelques conseils. J’ai ainsi fondé le Syndicat de la Couture de Saint-Pétersbourg en 2013. Saint-Pétersbourg est une ville à part en Russie : il s’agit d’une ville d’art, où le goût et le style de vie sont très européens. Saint-Pétersbourg est la capitale artistique de la Russie, tandis que Moscou est sa capitale politique et économique. Aujourd’hui, le Syndicat de la Couture de Saint-Pétersbourg compte une trentaine de membres et organise une Fashion Week qui se tient tous les ans au mois d’octobre dans la ville. C’est l’occasion de présenter au public les créations des stylistes russes, mais aussi de permettre à des marques étrangères de défiler en Russie.
Guillaume de Sardes : Que pèse le marché des marques russes de mode ?
Konstantin Lukin : Il s’agit encore d’un très petit marché. Le chiffre d’affaire cumulé des adhérents du Syndicat de la Couture de Saint-Pétersbourg représente moins de 5 millions d’euros. Il n’existe encore en Russie que des marques de niche. Il n’y a pas de grands groupes internationaux comme les français LVMH ou Kering. Cela est sans doute dû à la jeunesse de nos marques, qui n’ont pas une histoire aussi riche que celle de Chanel ou Dior, mais aussi au fait que les Russes préfèrent les marques étrangères.
Guillaume de Sardes : Pour terminer, pourriez-vous nous parler de Fabric Fancy, votre marque, notamment de ses spécificités ?
Konstantin Lukin : Notre identité tient peut-être avant tout à nos tissus, qui sont brodés par nos soins. On trouve quelques motifs d’inspiration russe, mais ils sont assez rares. Les broderies forment des motifs géométriques ou bien représentent des éléments de la nature : branches de coraux, végétaux, insectes. Pour les hommes, nous avons deux lignes. La première est classique, destinée aux hommes d’affaires, et consiste en des costumes sur mesure. La seconde est plus « casual ». Il s’agit de vêtements à la fois décontractés et sophistiqués, d’une coupe ample et minimale, de tons foncés (noir, gris, prune). Nous vendons nos créations dans notre showroom de Saint-Pétersbourg. Ce côté exclusif correspond à notre clientèle qui est fortunée. Le prix d’entrée pour un costume est de 2500 euros, et de 5000 euros pour une robe. Fabric Fancy est encore une marque de niche, mais nous avons une clientèle fidèle.