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Le livre Créatrices de légende propose de redécouvrir l’histoire de la mode à travers le regard de femmes, parfois oubliées, qui ont contribué à l’écrire.
La vague féministe qui déferle sur le monde est en train de bouleverser en profondeur l’ensemble des rapports sociaux. Outre les injustices qu’elle permet de corriger, elle a ceci de passionnant qu’elle met en lumière des femmes injustement négligées parce que femmes. Dans le milieu très select de la mode, si on met de côté quelques créatrices et personnalités exceptionnelles telle que Coco Chanel, la femme a souvent été assimilée à une muse en pâmoison devant la figure géniale d’un grand créateur. Une réhabilitation s’imposait.
Tel est l’objet du livre Créatrices de légende, que font paraître Laurence Catinot-Crost et Bertand Meyer-Stabley aux Editions Bartillat. La première est historienne, le second un journaliste qui a longtemps écrit pour Elle. Tous les deux, ils offrent vingt-cinq portraits de femmes qui ont osé, créé, innové et travaillé d’arrache-pied pour s’imposer dans le monde impitoyable de la mode et du luxe. Impitoyable car fonctionnant selon des règles établies par et pour les hommes.
Le point commun entre les vingt-cinq personnalités choisies pour illustrer ce panorama ? « Elles ont toutes eu cette ambition avec énormément d’énergie en commun, elle sont pétries de qualité et elles avaient cette certitude que le succès serait au bout du chemin alors que pour certaines le chemin était particulièrement chaotique », résume Laurence Catinot-Crost au micro de France Bleu.
Parmi ces femmes déterminées, on trouve Jeanne Lanvin, la matriarche. Aînée d’une famille de onze enfants, elle commence à travailler à l’âge de treize ans, livrant des chapeaux dans le Paris de la Belle Epoque, courant derrière l’omnibus pour économiser le prix du billet. A dix-huit ans, elle ouvre sa propre boutique, précocité rare pour l’époque. Par son talent et sa ténacité, elle donnera naissance à une maison mythique qui comptera jusqu’à 1200 employés au temps de sa splendeur. Voyageuse intrépide, businesswoman avisée qui n’hésite pas à se diversifier dans le parfum ou la décoration, elle voit venir avant tout le monde la révolution lifestyle. On lui doit, entre autres, la première collection pour enfants en 1908. Elle sait s’entourer de collaborateurs de renom, comme Armand-Albert Rateau, son décorateur devenu l’un des créateurs les plus singuliers du mouvement Art déco. Son nom a traversé le siècle, faisant de Lanvin la plus ancienne maison de couture toujours en activité.
Batailleuses ou bien nées, entravées ou émancipées
Elsa Schiaparelli, elle, voit le jour dans un palais romain au sein d’une famille d’aristocrates et d’intellectuels. Etudiante en philosophie, elle fait scandale en publiant un recueil de poèmes sensuels qui lui vaut d’être expédiée dans un couvent. Elle en sort à la suite d’une grève de la faim et devient styliste free-lance. Un pull loué par les plus grandes revues de mode lui vaut d’accéder en quelques mois à la gloire américaine. Bientôt, les créations de la maison Schiaparelli habilleront d’autres femmes de caractère telles que Marlene Dietrich, Katharine Hepburn, Lauren Bacall. Prise dans les tourments de l’époque, elle s’exile aux Etats-Unis d’où elle revient après la guerre pour voir sa réputation décliner doucement. Mais elle aura légué au monde son fameux shocking pink, un fuchsia éclatant décliné sous forme textile et cosmétique.
Autre destin, celui de Paloma Picasso, bien décidée à se faire un prénom à côté d’un père à la gloire écrasante. Elle y parviendra en tant que créatrice de bijoux, de parfums et d’accessoires de mode, après avoir été l’une des figures de la jet set des années 70, entre Palace et Studio 54. Les cinéphiles n’ont pas oublié son apparition en princesse-vampire dans les mythiques autant qu’érotiques Contes immoraux du réalisateur polonais Walerian Borowczyk.
Les autres créatrices à l’honneur ont pour nom Coco Chanel (bien sûr), Nina Ricci, Donatella Versace, Sonia Rykiel, Laura Ashley, Diane von Furstenberg, Helena Rubinstein, Estée Lauder, Lolita Lempicka, Victoire de Castellane… Batailleuses ou bien nées, entravées ou émancipées, diversement comblées dans leur vie personnelle, les figures qui défilent dans ces pages ont en commun d’avoir consacré leur énergie à renouveler les usages et les formes de leur époque. Pour chacune d’entre elles, les auteurs consacrent une dizaine de pages à expliquer leur apport à l’esprit du temps, mettant leur trajectoire en résonance avec les événements historiques, économiques et sociaux du XXe siècle.
Une autre manière de voyager à travers l’histoire de la mode.