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Les Carnets du Luxe vous font découvrir 2 Mai, une marque décalée et singulière lancée par Alice Rio-Derrey, créatrice prônant la seconde main et le savoir-faire à la française. Sa passion : dénicher dans nos fonds de tiroirs la mode de demain.
Aïssata
Haïdara
Les Carnets du Luxe : Pouvez-vous, en quelques mots, nous décrire votre marque ?
Alice Rio-Derrey : 2 mai est une marque maximaliste et très colorée, fabriquée en France, unisexe. Nous proposons des éditions limitées de vêtements réalisés principalement à partir de matériaux recyclés, tels que que des fins de stocks ou des tissus de seconde main.
LCDL : Votre concept de création est atypique, où puisez-vous vos inspirations ?
Alice : Mes inspirations proviennent principalement des matières premières elles-mêmes. Par exemple, j’ai eu l’idée de la première veste en utilisant un tissu d’ameublement de seconde main. C’est l’essence de mon processus de création. J’ai également été inspirée par une couverture vintage que j’ai trouvée dans un magasin Emmaüs, ce qui m’a donné l’idée de créer une polaire. Le concept de la marque s’articule autour de ces trouvailles et j’aime associer différentes matières pour créer des pièces uniques.
2 mai est une marque multiculturelle, colorée et vivante, inspirée par la culture populaire de différents pays. Ainsi, la veste « Varsity » est inspirée de la culture sportswear américaine, et j’ai également puisé mon inspiration dans des éléments tels que les fêtes foraines, le kitsch français, le carnaval de la Nouvelle-Orléans et d’autres moments festifs. Les visuels de la marque sont définis par des codes chargés, et j’aime mélanger les matières et les coloris. On pense souvent que la marque est italienne ou américaine, car elle incarne plus le principe du « more is more » que du « less is more ».
Ce ne sont pas des vêtements basiques que vous porteriez tous les jours, une pièce 2 mai crée votre look ! Ce sont des créations made in France que vous pouvez conserver dans le temps. Ce qui me fait plaisir, ce sont les retours des clients qui me disent qu’ils ont porté leur veste 2 mai lors d’un événement important pour se sentir « powerful ».
@ Aïssata Haïdara
LCDL : Votre parcours professionnel est très complet, pouvez-vous le présenter à nos lecteurs ?
Alice : Après mon baccalauréat, je suis entrée à l’école Duperré, une école supérieure d’Arts Appliqués à Paris, où j’ai obtenu un BTS en mode et textile, puis une licence professionnelle en mode et textile. Ensuite, je suis partie à New York où j’ai effectué un stage chez Tucker by Gaby Basora, une marque qui crée ses propres imprimés. C’est là-bas que j’ai appris à créer des motifs et que mon amour pour la couleur s’est confirmé. J’ai compris le fonctionnement d’une petite maison de mode. Ensuite, j’ai poursuivi mes études à l’Institut Français de la Mode (IFM) en Master 2 création de mode. C’était une expérience intense et difficile, avec seulement dix étudiants sélectionnés dans le monde entier à l’époque. Après l’IFM, j’ai effectué un stage chez Louis Vuitton, j’y suis restée un an, puis je suis devenue freelance, souvent appelée en renfort pour travailler dans les studios lors des défilés. À ce moment-là, je cherchais un emploi et j’avais en tête un plan de carrière: travailler dix ans dans le luxe, me faire des contacts, puis delancer ma propre marque ! Cependant, les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. La marque a commencé avec des hésitations, mais j’ai finalement décidé de m’y investir à 100%. Chaque étape de mon parcours me sert aujourd’hui, car j’ai acquis une vision à 360° de l’industrie de la mode.
@ Aïssata Haïdara
LCDL : Racontez-nous l’histoire de 2 mai de ses prémices à aujourd’hui.
Alice : L’histoire de 2 mai débute avec deux amis nés le même jour… le 2 mai. Lui et moi nous sommes rencontrés à l’IFM, où nous avons travaillé ensemble sur un projet de création de marque. En 2018, mon ami est revenu vers moi et nous avons commencé à travailler sur ce projet comme une simple collaboration. J’ai créé une série de vestes et nous avons réalisé des images ensemble. Je voulais changer de ce que je faisais à l’école, en proposant des pièces plus portables, qui feraient partie de la vie des gens. Lors du vernissage, la première série de vestes s’est vendue en seulement trois heures. C’est à ce moment-là que nous nous sommes dit qu’il fallait créer une marque. Lui a saisi une opportunité d’emploi à Londres, il est difficile de travailler ensemble à distance, alors j’ai poursuivi le projet seule. J’ai commencé avec l’idée de la veste « Varsity », qui est originaire de ma ville natale, Troyes, autrefois un berceau de l’industrie textile. Il y avait beaucoup de fins de séries de tissus en stock là-bas, et de quoi chiner, alors j’ai commencé à sourcer les tissus localement. Au fil du temps, ma gamme de matériaux s’est élargie et j’ai commencé à rechercher de nouveaux tissus. Par exemple, pour les jerseys, beaucoup d’entre eux venaient des usines Petit Bateau de Troyes, également berceau de la bonneterie en France. Au fur et à mesure de mes trouvailles, de nouvelles idées émergeaient, comme la création de chemises à partir de torchons, souvenirs de voyages. Je réinterprète les intemporels du vestiaire avec l’ADN de 2 mai, en y ajoutant un savoir-faire made in France, de la passion et une touche de nostalgie. Aujourd’hui, j’ai une couturière qui travaille exclusivement pour la marque, depuis février 2023, et elle est toujours basée à Troyes. C’est incroyable d’avoir une employée ! Elle s’occupe de la confection et du développement des pièces, en collaboration avec moi. C’est une chance de l’avoir à mes côtés, car elle comprend le concept de la marque et s’adapte à ma façon de travailler, à ma réflexion artistique. Maintenant que la marque grandit, je pourrai développer davantage mes idées. À terme, j’aimerais travailler sur des pièces plus travaillées, car je suis fascinée par la haute couture, les robes de la grande époque de John Galliano… Maintenant que tout est en place, je peux me permettre de proposer des créations plus innovantes.
@ Aïssata Haïdara
LCDL : Au sein de votre marque, quelles sont vos responsabilités ?
Alice : Je m’occupe principalement de la direction artistique, du design, du développement des pièces, du sourcing des matières premières et des associations de matières, ma partie favorite. Je suis designer de prêt-à-porter et d’imprimés de formation, j’aimerais créer mes propres motifs à l’avenir. Cependant, si je le fais, cela ne sera plus vraiment de l’upcycling. Une fabrication sur commande avec des matières exclusives 2 mai pourrait être une éventualité, et j’ai plein d’idées à ce sujet. J’organise également les séances de shooting et leur direction artistique. C’est l’histoire de ma vie et je veux en faire quelque chose de positif, avec une touche d’humour, apporter un sourire. La mode est censée être amusante. C’est un immense honneur lorsque mes clients me disent qu’ils se font arrêter dans la rue et qu’ils sont fiers de ce qu’ils portent.
LCDL : Quelles sont les difficultés auxquelles vous avez été confrontée ?
Alice : La principale difficulté est de choisir la taille, car la plupart des pièces sont uniques et la quantité est par conséquent limitée. Je ne peux pas anticiper qui sera intéressé et pour quelle taille, ce qui peut parfois créer des frustrations si une pièce ne convient pas à une personne qui la souhaite.
Financièrement, ce n’était pas toujours facile, donc j’ai eu des moments d’hésitation et j’ai envisagé de trouver un emploi supplémentaire pour assurer ma sécurité financière. J’ai réalisé il n’y a pas si longtemps que j’étais une entrepreneure, j’étais créatrice avant tout, cela s’est produit malgré moi, car je dois gérer tous les aspects de l’entreprise. L’année dernière, j’ai mis en pause la conception de la marque pour me concentrer sur les aspects commerciaux de l’entreprise. J’avais parfois le syndrome de l’imposteur, en montrant mes chiffres, et en arborant la partie business avec des professionnels, mais j’ai reçu beaucoup d’encouragements. Aujourd’hui, quelqu’un m’aide à trouver des financements et l’entreprise est en train de devenir une véritable société. C’est énorme, mais au fond de moi, c’est ce que j’attendais depuis cinq ans.
@ Aïssata Haïdara
LCDL : Comment établissez-vous votre clientèle ?
Alice : Je vends principalement sur l’e-shop, c’est le principal canal de vente. Mais j’organise également des événements physiques pour les lancements de nouveaux produits. Cela me permet de rendre la marque plus concrète, de rencontrer les gens et de leur permettre d’essayer les pièces. Un petit écosystème se crée à Paris, même si cela reste encore assez confidentiel compte tenu des quantités de production. La marque se développe lentement mais sûrement et se fait connaître à travers un réseau de personnes qui la soutiennent. Par exemple, les polaires ont été vendues principalement à Paris, en un mois seulement ! Des amis m’envoient des photos de personnes portant des pièces de ma marque qu’ils croisent dans les rues de la capitale, cela me fait plaisir de voir grandir ce projet. J’ai également testé deux boutiques revendeuses à Paris et à Ibiza, et cela a très bien fonctionné, mais financièrement, ce n’était pas intéressant pour moi. C’était néanmoins une expérience amusante de voir ma marque dans une boutique à Ibiza.
LCDL : Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Alice : La marque est en pleine expansion. En juin, nous avons lancé un nouveau produit avec des foulards vintage dans une boutique à Pigalle. Mon objectif est de lancer de nouveaux produits dès la rentrée, d’organiser des séances photo tous les deux mois et de proposer des sorties régulières. J’aimerais également trouver de nouveaux financements pour soutenir cette croissance.
@ Aïssata Haïdara
LCDL : Quelle est votre définition du luxe ?
Alice : Pour moi, le luxe se caractérise par la beauté, associée à la qualité et au savoir-faire. C’est quelque chose qui nous bouleverse, nous accompagne dans le temps. C’est un héritage culturel.
LCDL: Pour conclure, auriez-vous des conseils pour les jeunes créateurs qui nous lisent ?
Alice : Je dirais que si vous n’avez pas la passion pour la création, cela sera très difficile. J’ai failli abandonner de nombreuses fois, mais je n’ai pas pu, c’est mon projet de vie. Il y a une concurrence féroce entre les jeunes créateurs aujourd’hui, il est donc important d’en être conscient et d’être prêt à s’investir corps et âme. Egalement, il est essentiel d’être bien entouré, car même s’il peut y avoir beaucoup de solitude au début, ce sont toutes les personnes présentes qui vous aident et participent, à leur échelle, à la réussite de votre marque. J’ai eu cette chance d’être soutenue tout au long de cette aventure, et j’espère que cela continuera ainsi !
Propos recueillis par Charlie Boutemy