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« Couvrez ce sein que je ne saurais voir. – Par de pareils objets, les âmes sont blessées, – Et cela fait venir de coupables pensées ». La réplique fallacieuse de Tartuffe exclamée dans l’acte III scène 2, aurait bien fait rire Vivienne Westwood qui n’a cessé de bouleverser l’hypocrisie des bonnes mœurs. En effet, la styliste que l’on surnomme « l’enfant terrible de la mode » a libéré la poitrine de ses corsets et l’histoire de l’art de sa gaine. Le corset Boucher, une de ses plus belles créations est le symbole de l’union entre peinture et haute couture. Ainsi, de l’héritage à la transgression il n’y a qu’un pas que la mode a franchi !
Du tableau au corset : la touche Westwood
Issue de la collection Portrait qui date de l’automne 1990-91, le corset Boucher réalisée par Vivienne Westwood est une œuvre unique qui conjugue l’histoire de l’art à la mode. C’est lors d’une visite à la Wallace Collection que son regard se pose sur Daphnis et Chloé, une peinture de François Boucher, peintre rococo du XVIIIème siècle. Réalisée en 1743, elle représente la naissance d’un amour entre deux adolescents, dans un cadre pastoral et idyllique. Ce mythe célèbre la beauté, la sensualité et l’insouciance aux savoureuses notes rococo. Boucher flirte avec les règles de l’art : il utilise la couverture du mythe pour figurer des nus. Plus de deux siècles plus tard, Vivienne Westwood s’approprie l’érotisme de cette composition pour en faire un symbole emblématique du pouvoir féminin.
Une toile vivante à la croisée des techniques et matières
Loin d’être un simple accessoire, le corset Boucher est une véritable toile vivante où s’entremêlent techniques, tissus et traditions diverses. Grâce à la technique de l’impression numérique, inédite à l’époque, la styliste reproduit l’œuvre de Boucher sur l’étoffe. Elle capture ainsi les détails et les couleurs pastel nuancées de l’œuvre. La créatrice fusionne l’art et la technologie pour rendre hommage, avec précision, à la sensualité des traits de Boucher.
Pour les tissus, Westwood cherche à allier l’esthétique au confort. Elle s’appuie donc sur un mélange de soie et de coton, deux matières nobles qui renvoient à l’élégance libertine du XVIIIème siècle. La combinaison de ces deux tissus demeure stratégique : le coton assure la structure et le maintien nécessaire pour sculpter la silhouette, tandis que la soie apporte un confort et un éclat rococo. Si le corset est rigide, il reste agréable à porter car ses lignes courbes épousent la morphologie féminine et créent une silhouette en sablier. Ainsi, la créatrice britannique modernise le corset en le rendant confortable et accessible. La flamboyance rococo devient un symbole de l’émancipation féminine.
Réinventer le corset : tradition et modernité entrelacées
Dès sa naissance, autour du XVIème siècle, le corset devient un symbole de l’aristocratie, représentant davantage un statut social qu’un vêtement. Sa fonction principale était de cintrer la taille et soutenir la poitrine afin de modéliser la silhouette féminine idéale. Néanmoins, sa structure rigide a longtemps étouffé la femme. Pour réaliser cette pièce, Westwood s’est inspirée des corsets historiques du XVIIIème siècle. Ici, sa forme sculpturale se dessine grâce aux baleines souples insérées dans le tissu qui accentuent les courbes pour libérer la taille. La styliste a utilisé un acier flexible pour renforcer l’aisance de la poitrine. Plus qu’un corset, la pièce embrasse la forme d’un bustier, porté avec ou sans chemise. De même, il se distingue par ses larges bretelles et sa forme originale. Le corset se lace avec une grande souplesse à l’arrière et les coutures presque invisibles suivent parfaitement la touche de Boucher.
Ainsi, le corset Boucher est à la frontière entre mode et peinture, entre tradition et transgression. C’est une pièce hybride qui met en valeur le plus beau de chacun des arts. Au-delà d’une œuvre d’art, il est fait pour être porté et accessible. Le choix des matières et des techniques en fait une pièce innovante et audacieuse, symbolisant l’indépendance et la liberté sexuelle. La styliste subvertit la peinture classique et redonne aux femmes les clés des chaines de leur corset.
Illustration:
Vivienne Westwood, Corset, 1990, polyamide, polyester, Lycra, soie. London: Victoria & Albert Museum