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Malgré la stagnation économique de l’archipel, les clients du luxe ne boudent pas leurs marques favorites. Mais les évolutions des modes de consommation imposent aux acteurs du secteur de revoir leurs stratégies : applications de location de sacs à main, ouverture de « mall » où l’expérience prime sur l’acquisition d’objets… Sur l’Archipel, le luxe se réinvente à l’image d’une société en plein bouleversement.
Louer un sac griffé pour un mois – ou plus, si affinité ? Les élégantes japonaises, déjà habituées à la location de vêtements, ont, depuis longtemps, franchi le pas. Baisse du yen, hausse de 5% à 8% de la TVA en 2014, morosité salariale… : si les temps sont durs, pas question pour autant de renoncer à arborer la dernière création signée Hermès, Chanel, Louis Vuitton ou Gucci.
Une entreprise japonaise l’a bien compris. Laxus, c’est son nom, a lancé en février 2015 une application éponyme, proposant alors un petit millier de sacs à main de luxe à ses clientes. Un catalogue rapidement étoffé, qui dépasse désormais les 20 000 références, toutes importées depuis l’étranger et authentifiées – il ne s’agirait pas de louer une contrefaçon.
Contre un abonnement de 6 800 yens par mois (l’équivalent de 50 euros), les clientes de Laxus peuvent conserver le sac de leur choix aussi longtemps qu’elles le souhaitent. Une aubaine, alors que la valeur moyenne des pièces de maroquinerie proposées par l’application est de 300 000 yens, soit plus de 2 230 euros.
Forte de son succès, l’entreprise implantée à Hiroshima a lancé, en 2016, Laxus X, une déclinaison de son concept de location appliquée aux particuliers. Quelque 16 000 sacs à main, loués par 6 000 propriétaires, ont déjà fait le bonheur de 14 000 clients. Depuis le 25 décembre dernier, Laxus propose également un service de location couplé avec les offres de séjour d’un voyagiste.
Le secteur se réinvente dans une « ère post-luxe »
La success story de Laxus témoigne des mutations d’un secteur du luxe en pleine recomposition sur l’Archipel. Si le Japon reste le deuxième marché au monde derrière les Etats-Unis, avec une valeur estimée de 22 milliards d’euros en 2016 – soit 9% des ventes mondiales –, selon le cabinet de conseil Bain & Company, le pays reste marqué par plusieurs années de stagnation économique.
Après deux années de forte hausse en 2014 et 2015, la croissance du secteur s’est tassée. Selon l’institut d’études marketing Yano, les importations d’articles de luxe ont même baissé de 6% en 2016, un repli impactant particulièrement l’horlogerie et l’habillement. Le même institut escompte un nouveau recul de 0,6% sur l’année écoulée, à 2 210 milliards de yen.
La croissance potentielle du luxe au Japon n’est, en réalité, plus portée par les acheteurs nippons. Ce sont les touristes asiatiques, et notamment chinois, qui entraînent désormais le secteur : en 2016, ils ont généré pas moins de 25% des ventes, toujours selon Bain & Company. Les visiteurs en provenance de l’Empire du Milieu sont en effet passés de 1,4 million en 2010 à 6,4 millions en 2016. « Les investisseurs parient sur une poussée continue de ce nombre », pronostique Hiroshi Okubo, directeur de recherche chez CBRE.
Ces évolutions macro-économiques ne sont pas sans conséquence sur les habitudes de consommation. Qu’elle soit chinoise, occidentale ou japonaise, la clientèle des marques de luxe est désormais davantage attachée à la recherche d’une « expérience » qu’à celle de la possession d’un objet. « Ici, toutes les maisons ont dû réfléchir à une offre exclusive », analyse le designer français français Gwenael Nicolas.
Ici ? Il s’agit de « Ginga Six », le premier « mall » du pays consacré exclusivement au luxe, inauguré en avril 2017 en plein centre de Tokyo (photo). Pour l’occasion, Shinzo Abe, le premier ministre japonais, la gouverneure de Tokyo et Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH – qui compte dix marques au sein du bâtiment –, avaient fait le déplacement. Objectif assumé de l’opération : démontrer que la capitale japonaise sait s’adapter aux changements des modes de consommation et se maintenir dans le club des métropoles qui comptent.
Quelque 241 boutiques sont réparties sur huit étages et 47 000 mètres carrés du bâtiment, conçu par l’architecte japonnais Yoshio Tanigushi. A terme, Ginga Six espère 20 millions de visiteurs par an et générer 60 milliards de yens, soit l’équivalent de plus de 500 000 euros, de ventes annuelles. A l’intérieur, Gwendal Nicolas a conçu un parcours imitant les rues traditionnelles des villes japonaises : « Ce que je voulais retrouver, c’est cette hospitalité inimitable qui fait le Japon. C’est ça le luxe », explique le designer.
« Nous devons répondre aux nouvelles valeurs des clients dans une ère que nous appelons »post-luxe » », analyse l’un des cadres japonais d’un développeur immobilier ayant participé à l’opération. « Il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la clientèle du luxe est au Japon, abonde Sidney Toledano, le PDG de Christian Dior Couture, cela reste un marché stratégique pour le luxe, et je dirais, le vrai luxe ».
De son côté, Laxus vise désormais l’international. Après New York en 2017, l’application de location de sacs à main griffés devrait être prochainement disponible pour les clientes de Londres, Singapour et Hong Kong. En attendant Paris, prochaine cible de l’entreprise japonaise.