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Alors que l’industrie française décline depuis des décennies, quelques branches conservent un vrai dynamisme avec de grandes entreprises de rayonnement mondial, notamment l’industrie pharmaceutique (Sanofi, numéro trois mondial) et celle du luxe (trois des dix plus grands groupes mondiaux du luxe sont français : LVMH, numéro un, Kering et L’Oréal). Or ces deux secteurs doivent faire face à un problème qui prend sans cesse plus d’ampleur : la contrefaçon.
Bien qu’il soit malaisé de saisir l’ampleur d’un phénomène destiné par nature à se développer dans l’ombre, une étude de l’OCDE et de l’EUIPO (Office de l’union européenne pour la propriété intellectuelle), datant de 2016, permet d’en prendre la mesure. Selon celle-ci, le marché mondial des biens contrefaits représenterait 407 milliards d’euros. Un montant qui donne une idée de l’importance du manque à gagner pour les entreprises, encore que celui-ci varie selon les secteurs et ne puisse être évalué qu’au cas par cas.
La contrefaçon de médicaments représenterait à elle seule une perte de plus d’un milliard d’euros par an pour les sociétés pharmaceutiques françaises. Près de 4 000 emplois directs seraient aussi perdus. Quant aux préjudices en terme d’image, ils peuvent être importants, comme dans le cas de ces faux vaccins contre la poliomyélite estampillés Sanofi, distribués dans les hôpitaux indonésiens et qui n’ont pas immunisé les patients contre la maladie.
Dans le secteur du prêt-à-porter et des accessoires, le manque à gagner s’élèverait en France à 3,5 milliards d’euros et s’accompagnerait d’une perte de 25 000 emplois directs. L’impact sur la réputation des marques est en revanche difficile à évaluer. Certes, certains articles contrefaits étant vendus quasiment au même prix que les originaux, notamment sur internet, une confusion peut se créer, qui laisse croire aux clients que ceux-ci sont de mauvaise qualité. Mais d’un autre côté, l’existence de contrefaçons augmente ce qu’on appelle « l’effet d’exposition ». Le taux d’exposition des personnes à une marque contrefaite contribuerait à améliorer la perception de celle-ci, notamment par l’augmentation de son degré de reconnaissance. Les contrefaçons seraient pour une marque une forme de publicité paradoxale… Ce qui a amené Patrizio Bertelli, le PDG de Prada, à déclarer en mai 2012, sur Bloomberg, TV que « la contrefaçon n’est pas entièrement mauvaise » et qu’elle est le signe du succès d’une marque.
Quoi qu’il en soit, le développement rapide de la contrefaçon, favorisé par la croissance des ventes en ligne, est alarmant. Les produits contrefaits sont beaucoup plus difficiles à repérer sur internet d’après une simple photographie et leur saisie presque impossible à l’étranger. Les solutions efficaces ne pourront être trouvées qu’au niveau politique national et européen.
Il est cependant un domaine où les choses pourraient et devraient évoluer : l’indemnisation des entreprises, à travers l’octroi de dommages et intérêts à l’issue des procès. Les marques consentent des investissements très importants pour développer des produits, les faire connaître, les commercialiser, etc. Elles assument seules le coût et le risque de ces créations. On peut dès lors s’étonner de la disproportion entre les indemnisations qu’elles peuvent obtenir et celles consenties aux Douanes françaises.
Un exemple permet de l’illustrer. Dans une affaire portant sur la contrefaçon de foulards d’une grande marque française (jugée en première instance en 2014), l’accusé a été condamné à verser 30 000 euros à la marque contre un million d’euros aux Douanes : c’est-à-dire trois cent fois plus ! Un tel déséquilibre mériterait d’être questionné. Ne sont-ce pas les entreprises qui sont victimes du manque à gagner plutôt que les Douanes ? Ce d’autant que, selon Maître François Géry, avocat spécialiste en droit pénal des affaires, « la lourdeur des amendes théoriques et parfois prononcées au profit des Douanes équivaut souvent pour l’auteur du délit à une mort civile, ce qui contrevient à un principe du droit pénal : la proportionnalité des peines ».
Réintroduire plus de justice dans le traitement des affaires de contrefaçons paraît donc nécessaire. À tout le moins est-on en droit d’attendre qu’un débat sur cette question méconnue soit ouvert.