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En pleine expansion, la contrefaçon occasionne des dommages financiers, et d’image, considérables aux groupes de luxe et aux finances des pays. La riposte passe par les tribunaux, par l’innovation technologique…et par le détournement du phénomène.
Sensation au congrès Viva Technologies, qui se tenait à Paris en juin 2016. A l’invitation de LVMH, la start-up Entrupy a présenté au gratin de la French Tech et des investisseurs son application éponyme. La solution offerte par Entrupy était attendue depuis longtemps, tant par les acheteurs qui fréquentent les plateformes de vente en ligne que par les grands groupes de la mode et du luxe. L’objectif : lutter contre la contrefaçon des produits de luxe, qui se développe à grande échelle sur Internet, notamment sur le second marché, celui de l’occasion.
Le système est simple : à l’aide d’un dispositif fourni par Entrupy, le client capture des images de l’objet – sac, vêtement, etc. – qu’il a acheté d’occasion en ligne et les transmet à l’entreprise. Celle-ci les compare à des millions d’images authentiques déposées dans sa base de données. Quelques secondes suffisent pour garantir l’authenticité de l’objet, avec une fiabilité de plus de 96%. Prada, Balenciaga, Burberry, Fendi, Gucci, Dior, Chanel, Céline, Hermès ou Louis Vuitton ont déjà été séduits par Entrupy.
« La contrefaçon banalise notre image »
Avec l’essor d’Internet, la contrefaçon a explosé. Elle adopte des visages protéiformes, contre lesquels il n’y a pas de réponse unique. En France, les saisies de contrefaçons ont été multipliées par 45 entre 1994 et 2011. En termes de recettes fiscales, les produits contrefaits représentent un manque à gagner de près de 6 milliards d’euros pour l’économie française, et de plus de 14 milliards d’euros au niveau européen.
Toujours en Europe, quelque 800 000 emplois seraient détruits du fait du phénomène. Selon un rapport conjoint de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), les importations de produits contrefaits et piratés ont atteint 461 milliards de dollars par an en 2013, soit environ 2,5% des importations mondiales.
On estime que les produits de luxe représentent 50% de la valeur totale des saisies dans l’Hexagone, et 35% au sein de l’Union européenne (UE). Selon le Comité Colbert, qui représente plus de 80 enseignes de prestige, présentes dans différents secteurs du luxe, la contrefaçon occasionnerait une perte de 10% de chiffre d’affaires pour le secteur. Le manque à gagner pour les entreprises françaises du prêt-à-porter et des accessoires serait de 3,5 milliards d’euros par an, et les pertes d’emplois s’élèveraient à 25 000, toujours selon l’EUIPO.
Au-delà des seules pertes financières, la contrefaçon engendre un risque d’image important. « Les dommages d’image sont considérables, car notre métier consiste à créer des produits uniques et originaux. La contrefaçon banalise notre image », déplore Jean Cassegrain, le directeur général de Longchamp. « Il y a une tendance actuelle à la consommation responsable, poursuit le dirigeant du maroquinier, mais la contrefaçon, c’est de la consommation irresponsable », qui alimente notamment les caisses des mafias et organisations criminelles en tout genre.
Les grands groupes de luxe réagissent
Si les saisies douanières sont en constante augmentation, il reste impossible pour les forces de police de contrôler l’ensemble des colis en provenance de Chine – d’où sont originaires 60% des contrefaçons arrivant en Europe – ou d’autres pays d’Asie, où sont fabriqués, dans des conditions souvent déplorables, la plupart des produits contrefaits. Alors les grands groupes du luxe mènent parfois la bataille en solitaire.
En 2012, Hermès a intenté une action devant la cour de New York à l’encontre de 18 contrefacteurs chinois, qui reproduisaient ses sacs sans autorisation. Les juges américains leur ont infligé une amende de 100 millions d’euros de dommages et intérêts. Devant la même cour, le groupe Kering a introduit une action en 2015 contre le site chinois Alibaba, accusé de promouvoir sur ses plateformes la vente de produits contrefaits de ses marques de luxe.
Mais l’action anti-contrefaçon la plus spectaculaire revient sans doute au numéro 1 du secteur, LVMH. En 2006, le groupe a poursuivi la plateforme Ebay, accusée de faciliter la vente de produits contrefaits, de causer des dommages en termes de réputation, d’atteindre à l’image des marques de LVMH ainsi que d’occasionner des dommages financiers. Ebay a été condamné par le tribunal de commerce à payer 40 millions de dommages et intérêts au demandeur, une somme ramenée, en 2008, à 5,7 millions d’euros. Le groupe a également signé, en 2014, un accord avec Google, qui engage la firme californienne à lutter contre la contrefaçon et, notamment, la commercialisation de mots-clés contenant les marques de LVMH, au premier rang desquelles Louis Vuitton.
« Les marques qui se tournent elles-mêmes en dérision sont celles qui fonctionnent le mieux aujourd’hui »
Bien qu’elles combattent la contrefaçon, les grandes marques de luxe savent aussi en jouer…et la retourner à leur avantage. Souvent avec ironie : en octobre 2016, Vetements a commercialisé à Séoul, l’une des plaques tournantes des produits contrefaits, une collection capsule baptisée « Official Fake ». Dior vend des sacs avec une plaque « J’adior ». Et, après avoir attaqué la marque en 2000 pour avoir reproduit son logo sur des planches de skateboard, Louis Vuitton collabore avec Supreme pour la production de sacs.
« Aujourd’hui, ce sont les marques de luxe elles-mêmes qui détournent leur logo et parodient la contrefaçon », explique Emmanuelle Hoffman, avocate spécialisée dans le droit de la mode. Ces évolutions sont liées « au monde digital, dans lequel il ne peut y avoir de discours vertical, analyse benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode. (Les marques) qui se tournent elles-mêmes en dérision sont celles qui fonctionnent le mieux aujourd’hui ».