|
|
Ardavan
Amir-Aslani
Guillaume de Sardes : L’idée de club est généralement associée à l’Angleterre. Il en existe pourtant en France (Jockey Club, Cercle de l’Union Interalliée, Automobile Club, le Travellers, Club de la Nature et de la Chasse, etc.), fondés pour certains dès le XIXe siècle. Vous qui êtes membre de certains d’entre eux, diriez-vous que ceux-ci se rattachent au monde du luxe ? De quelle manière ?
Ardavan Amir-Aslani : Le luxe c’est la rareté, c’est la qualité, c’est ce qui est somptueux mais également ce qui est réservé à une élite. Dans ce sens l’ensemble des cercles que vous citez (je dis bien cercle et non pas club) relève de l’univers du luxe. Qu’il s’agisse des lieux physiques feutrés qu’incarnent ces cercles, le formalisme de l’habillement (le port d’une veste et de la cravate est obligatoire), le raffinement des mets qui y sont servis ou encore la langue châtiée qui y est usitée représentent incontestablement un univers de luxe. Un univers rare où les membres ont plaisir à s’y retrouver, un peu comme un îlot réservé et confidentiel. Mais le luxe matérialisé par ces cercles n’est pas ostentatoire. Je dirai davantage que luxueux ces cercles sont classieux. Le paraître n’y a pas sa place. C’est le « être » qui y est privilégié. Ces univers particulièrement sélectifs cherchent à réunir des personnes qui partagent les mêmes valeurs d’élégance morale. Ce sont des lieux qui sont fréquentés par des personnes qui viennent du même monde et où l’entre soi est cultivé. Ce sont des lieux d’échanges entre des personnes qui appartiennent aux mêmes milieux. Les critères d’admission, souvent sévères, sont d’ailleurs fondés sur la notion d’appartenance aux mêmes valeurs d’amitiés, de courtoisie et de respect.
GS : Existe-t-il une tradition spécifiquement française des clubs de gentlemen ?
AA-A : Non. Les cercles que vous citez sont tous des cercles de tradition anglaise. S’il est vrai que la France a incarné au XVIIIe siècle les salons littéraires où les esprits des Lumières croisaient la bonne société aristocratique de l’époque, il ne s’agissait que de salons chez des particuliers. L’idée d’un lieu spécifique appartenant à un groupe d’hommes réunis soit par appartenance politique soit par un goût pour les arts ou les armes est une idée purement anglaise. D’ailleurs l’ensemble des cercles français est postérieur au moins d’un siècle aux grandes dames londoniennes. Londres compte encore vingt fois plus de cercles que Paris.
Cependant il y a certaines spécificités associées à la pratique des cercles parisiens. Ainsi, en France, il est d’usage de porter la cravate du cercle lorsque l’on s’y rend alors qu’à Londres on ne porte la cravate du cercle qu’à l’extérieur, les membres étant censés se connaître sans avoir besoin de signes de reconnaissance. De même, en France, ça ne se fait pas d’interroger un membre sur son patronyme ou sur son métier. On pose discrètement la question à un membre du personnel car on est censé se connaître.
GS : Ces clubs sont avant tout des lieux de sociabilités. À ce titre, favorisent-ils les affaires ?
AA-A : L’objet de ces cercles est la culture de l’amitié et de la convivialité. On n’y adhère pas pour étoffer son carnet d’adresses qui est censé être bien rempli au moment où l’impétrant présente sa candidature. Pour ma part, je n’ai pas le souvenir d’y avoir jamais échangé de carte de visite. Il n’est pas impossible, en revanche, qu’à l’issue des rencontres qui s’y font, des affaires se fassent à l’extérieur. En principe, cependant, et ce dans l’ensemble des cercles parisiens, les échanges de papiers sont proscrits ou du moins fortement découragés. Souvent, les membres sont invités à laisser leurs serviettes ou autres pochettes à documentation à l’accueil afin d’y pénétrer les mains vides. On ne devient pas membre d’un cercle pour faire des affaires ; il y a des business clubs pour ça. Néanmoins, il n’est pas interdit à table ou au bar de recevoir des invités dans un contexte professionnel, vouloir faire des affaires ne doit juste pas être la motivation première d’adhésion.
GS : Le monde du luxe et des affaires s’est internationalisé. Cela vous paraît-il se refléter dans la sociologie de ces clubs ?
AA-A : Ça dépend des cercles. Il y a des cercles qui sont fortement orientés vers l’international comme le Travellers où statutairement un certain pourcentage des membres doit être des étrangers même si une telle répartition n’est plus appliquée à la lettre de nos jours. D’autres cercles comme l’Interalliée sont le lieu de prédilection des membres du corps diplomatique basés à Paris. L’internationalisation se manifeste également par le biais des cercles correspondants à l’étranger qui autorisent leur fréquentation par les membres correspondants. La plupart des cercles parisiens dispose de correspondants dans les principales villes du monde où des cercles similaires existent.