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Après quatre années de rénovation, le célèbre établissement de la place de la Concorde a réouvert ses portes en 2017. Symbole du luxe à la française, l’Hôtel de Crillon s’inscrit dans une longue et riche histoire. Avec l’obtention du label « Palace », son avenir, entre conservation et audace, semble assuré.
Vingt-cinq : ils sont désormais vingt-cinq établissements à pourvoir s’enorgueillir, en France, de posséder la prestigieuse dénomination « Palace ». Le dernier à rejoindre ce club très select est l’Hôtel de Crillon qui, après quatre années d’une restauration d’ampleur – seules deux étaient initialement prévues, signe du soin apporté –, a réouvert ses portes le 5 juillet 2017.
147 métiers d’art et 5 décorateurs pour magnifier le Crillon
Le prestigieux hôtel avait fermé pour travaux en mars 2013 : un passage quasi-obligé, en raison de la concurrence accrue dans l’hôtellerie de luxe parisienne et de la création, en 2009, du label « Palace » par l’Agence de développement touristique française, Atout France. La distinction, accordée pour cinq années renouvelables, « procède d’une phase d’instruction et d’une phase d’analyse dont l’exigence le dispute à d’inflexibles standards d’éligibilité », écrivait en août dernier Guillaume de Sardes dans nos tribunes. Il fallait donc entièrement repenser l’hôtel pour espérer l’obtenir.
Ce sont l’architecte Richard Martinet et la décoratrice libanaise Aline d’Amman qui ont supervisé la réfection de l’établissement, imaginée afin d’offrir à sa clientèle privilégiée « un subtil équilibre entre conservation et transformation ». Le styliste Karl Lagerfeld s’est, quant à lui, vu confier quatre suites dédiées à Marie-Antoinette, dont la légende veut qu’elle soit venue prendre des leçons de piano entre ces murs. En tout, ce sont 147 métiers d’art et cinq décorateurs qui ont participé à ce chantier titanesque, de plus de 16 000 mètres carrés.
« Nous avons imaginé notre projet comme si les lieux appartenaient toujours à la famille de Crillon, chaque génération gardant depuis le XVIIIe siècle le meilleur de la précédente », confie ainsi l’architecte d’intérieur Cyril Vergniol, qui a signé la décoration de la majorité des 81 chambres et 43 suites de l’hôtel. « Chaque chambre étant différente, il a fallu jouer des moulures et des volumes. Notre chance est d’avoir pu bénéficier du savoir-faire et de la richesse de l’artisanat d’art français », explique encore le décorateur.
« Une architecture à la hauteur du mythe »
« On ne le casse pas, abonde Aline d’Amman. On crée une architecture à la hauteur de son mythe ». Et de mythe, il en est bien question lorsqu’on évoque l’un des plus anciens et luxueux hôtels au monde. Commandé en 1758 par le roi de France Louis XV, l’édifice est acquis en 1788 par François-Félix de Crillon, qui lui donnera son nom. Confisqué après Révolution française puis rétrocédé à la famille Crillon, l’hôtel est racheté une première fois en 1907 par la Société des grands magasins et des hôtels du Louvre.
Le 11 mars 1909, l’Hôtel de Crillon à proprement parler ouvre ses portes et devient le premier grand « hôtel de prestige » de la capitale, offrant un confort exceptionnel et une situation unique à ses clients. Qui, des têtes couronnées aux chefs d’Etat, accourent de tous les continents vers l’une des plus belles adresses du monde. C’est, par exemple, dans ses salons que le président américain Woodrow Wilson élabore le pacte constitutif de la Société des Nations. Winston Churchil, Richard Nixon, Shimon Peres – et même Fidel Castro – y séjournèrent, de même que la chanteuse Madonna ou le compositeur et chef d’orchestre Leonard Bernstein, qui donnera son nom à l’une des suites les plus exclusives du Crillon. Prix de la nuitée : 25 000 euros.
Réquisitionné par l’armée allemande pendant l’Occupation, l’Hôtel de Crillon avait déjà bénéficié d’une grande rénovation de 1980 à 1982. L’occasion d’inaugurer le sol en marbre de l’entrée, jaune ivoire de Sienne et noir de Portor, mais aussi d’accueillir le comptoir du bar, signé du sculpteur César. Racheté en novembre 2010 pour 250 millions d’euros par un membre de la famille royale saoudienne, l’hôtel a mis en vente la quasi-totalité de ses meubles lorsqu’il a fermé ses portes en 2013. Seule concession à la nostalgie : l’éléphant-armoire à liqueur en cristal de Baccarat, un service conçu pour l’Exposition universelle de 1878, véritable « mémoire » du Crillon.
Un avenir radieux
« Le palace efface la fonctionnalité triviale du simple hôtel pour faire place ici à une demeure royale, là à un lieu de création artistique, voire à un ensemble d’architecture exceptionnel de cours et de jardins au cœur de la ville », écrivait encore Guillaume de Sardes. Voilà bien, semble-t-il, le parti-pris du Crillon nouvelle génération, avec ses trois « Ateliers d’artistes » sous les toits, investis jusqu’au 1er janvier 2019 par le galeriste Emmanuel Perrotin. Ou encore avec le jardin d’hiver, réservé au petit-déjeuner et au tea time, le Bar Les Ambassadeurs, la Terrasse Gabriel ou L’Ecrin, le restaurant gastronomique mené par le chef Christophe Hache. Sans parler du spa et de la piscine rénovée, qui aura nécessité la pose de quelque 17 600 mosaïques.
La distinction « Palace » vaut à l’établissement récipiendaire une hausse de sa fréquentation de touristes étrangers de 14,4%, et une hausse globale de 7%. Gageons que l’Hôtel de Crillon, dont la direction a eu l’audace de maintenir à leurs postes les 360 salariés employés avant les travaux – avec versement de leurs salaires – saura très rapidement reconquérir la fidélité de ses hôtes de marque.