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C’est l’évènement artistique de la rentrée. Pour la première fois, une centaine d’oeuvres des artistes Egon Schiele et Jean-Michel Basquiat sont exposées en même temps – mais séparément – dans l’écrin de la Fondation Louis Vuitton. L’occasion de replonger dans la genèse de cette exposition hors norme et dans la trajectoire de ces artistes aussi torturés que géniaux.
Incontournable. Jusqu’au 14 janvier prochain se tient à la Fondation Louis Vuitton, à Paris, une double exposition consacrée aux artistes Jean-Michel Basquiat (1960-1988) et Egon Schiele (1890-1918). Deux monstres sacrés du XXe siècle, deux âmes torturées, deux artistes sulfureux – chacun à sa manière si particulière – réunis pour l’évènement de l’automne parisien. Mais plus que tout, Basquiat et Schiele « partageaient quelque chose de l’ordre de la fulgurance », explique Suzanne Pagé, directrice artistique de la Fondation Louis Vuitton, qui est à l’origine de l’idée de cette exposition croisée.
Le prophète et le héraut
Morts à 28 et 27 ans, Schiele de la grippe espagnole, Basquiat d’une overdose, les deux artistes partagent plus qu’un tragique destin. Une similitude qui ne suffit pourtant pas à rassembler deux hommes ayant vécu à des époques et sur des continents différents. « Une raison bien plus convaincante est que tous deux font voir crûment à leurs contemporains ce que ceux-ci préfèrent faire semblant d’ignorer », pour le journaliste Philippe Dagen.
Dans la Vienne des années 1900, celle de Freud et de l’éclosion de la psychanalyse, Egon Schiele se bat contre le conformisme académique et l’hypocrisie de la bourgeoise austro-hongroise. Ses œuvres sont empruntes d’une évidente charge érotique, son trait continu rehaussé de couleurs donnant à voir des corps nus adoptant des postures indécentes. Son objectif : « observer frontalement ce qu’est l’être humain, avec un corps, un sexe », selon Suzanne Pagé.
Pour un Jean-Michel Basquiat traînant dans l’East Village new-yorkais, le but est quant à lui de « faire exister la figure noire », pour la directrice artistique de la Fondation. A l’époque de Reagan et de l’apparition du Sida, l’artiste se fait fort de remettre les thèmes de l’esclavage, de la traite négrière et de la ségrégation au premier plan de ses toiles – au besoin avec des mots, ceux-là même que le jeune homme a commencé à graffer sur les murs de la ville sous le pseudonyme de SAMO « Same Old Shit ».
« Ils ont tous les deux un rapport très précoce, et très obsessionnel, au dessin, avec une virtuosité exceptionnelle, poursuit Suzanne Pagé.Je sens aussi chez les deux artistes une profonde détresse, qu’ils affrontent. (…) Ils ont tous deux un mentor, Klimt pour Schiele, Warhol pour Basquiat. Et surtout, ils se sont donné un but, et même une mission. L’un se voyait comme un prophète, l’autre comme un héraut de la cause des artistes noirs ».
« Ils ont tous deux connu le succès très jeunes, vite interrompu par une mort précoce, analyse Bernard Arnault. Ils ont en commun d’avoir cassé les codes, ce qui est le propre des grands artistes ». « Schiele et Basquiat me touchent beaucoup parce qu’ils représentent la créativité à l’état pur et rejoignent, dans la violence personnelle de leur expression, les préoccupations de notre époque » confie encore le président de LVMH, qui poursuit, à propos de Jean-Michel Basquiat : « Il m’a aussitôt plu. Quand on s’arrête devant un de ses tableaux, c’est l’émotion qui parle ( …). J’ai été frappé d’emblée par la sa force, par son intense palette colorée, par l’usage inédit et original qu’il faisait des matériaux trouvés ».
Bernard Arnault à la manœuvre pour rassembler les œuvres
Hasard de l’Histoire, Bernard Arnault résidait à New York quand Jean-Michel Basquiat a commencé à percer dans le milieu de l’art contemporain et à être exposé par des galeries. Le dirigeant fait même partie de ses premiers clients, bien que les deux hommes ne se soient jamais rencontrés. Une proximité avec des œuvres qui « font partie de (sa) vie » : « J’avais un de mes Basquiat accrochés chez moi, confie-t-il encore au Figaro. Un jour, mon fils avait 5 ans, je l’ai surpris avec un crayon en train de dessiner sur la toile. Une addition qui s’est bien intégrée. Je l’ai laissée (rires) ».
Alors que les musées autrichiens célèbrent cette année le centenaire de la mort d’Egon Schiele, rassembler ces œuvres n’a pas été chose aisée. Il a fallu faire appel à près d’une centaine de collectionneurs privés. Bernard Arnault, le président de LVMH et de la Fondation Louis Vuitton, « s’est mobilisé comme jamais afin que cette exposition se fasse, en écrivant personnellement pour solliciter les prêts auprès des uns et des autres, confie au Monde Jean-Paul Claverie, le conseiller de l’homme d’affaires en mécénat.. Il s’est vraiment engagé, même si, ou peut-être parce que Basquiat était un ‘bad boy’ ».