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Quatre-vingt six ans après son ouverture, le mythique hôtel de New York a mis la clé sous la porte en mars 2017, pour se refaire une nouvelle jeunesse. Reste la légende forgée par l’un des palaces les plus grandioses et novateurs de l’histoire de l’hôtellerie, où se sont croisés têtes couronnées, starlettes du moment et dirigeants politiques du monde entier.
S’il est une adresse mythique à Manhattan, c’est bien le 301 Park Avenue. Depuis 1931, c’est ici, à quelques « blocks » de la gare Grand Central, que se dresse la monumentale façade Art déco du Waldorf Astoria. Un véritable palace de légende, dont l’emblématique hall d’entrée a vu passer des stars comme Marilyn Monroe, Grace Kelly, Cole Porter, Cary Grant, des têtes couronnées comme la duchesse de Windsor, sans oublier la crème des dirigeants de la planète, de Churchill à Hoover, en passant par Kissinger, Kennedy ou encore Barack Obama, qui y accueillait ses homologues pour l’Assemblée générale annuelle des Nations Unies.
C’est aussi l’ancien président américain qui, d’une certaine manière, a porté le coup de grâce au vénérable établissement. A la suite du rachat, pour 1,95 milliards de dollars, du Waldorf Astoria par la compagnie d’assurances chinoise Anbang en 2014, et par crainte des services de renseignement de l’Empire du Milieu, le prédécesseur de Donald Trump à la Maison Blanche décide de ne plus y descendre ni y loger les diplomates américains. Et, en mars 2017, Anbang annonce sa volonté de mener des travaux dans l’hôtel pour une durée de deux ou trois ans. La fin annoncée d’un mythe de l’hôtellerie de luxe ?
« Le Waldorf Astoria est l’une de ces institutions colossales que l’on ne voit qu’en Amérique »
L’histoire du Waldorf remonte à la fin du XIXe siècle. En 1893, William Waldorf Astor fait démolir son château sur la Cinquième avenue new-yorkaise, et élève à sa place le premier Waldorf Hotel. Sa tante, Caroline Astor, qui règne sur la haute société de New York, ne supporte pas l’affront, et autorise son fils, John Jacob Astor, à détruire sa propre demeure, voisine de l’hôtel. Elle fait même appel au même architecte, qui donne naissance en 1897 à l’Astoria Hotel. Une querelle familiale qui, lorsqu’elle fut enterrée, permis la jonction des deux édifices par un couloir : le premier Waldorf Astoria était né.
Un article du Figaro du 28 janvier 1903 laisse entrevoir, pour les lecteurs de l’époque, la magnificence et les raffinements alors inconnus en Europe de l’hôtel qui a inventé le service en chambre 24 heures sur 24. « On m’avait dit: ‘II faut descendre au Waldorf. C’est là que vous pourrez le mieux juger la vie américaine.’ J’y habite depuis six semaines et je commence à le connaître. C’est, en effet, l’hôtel à la mode. On y voit toutes les sortes de gens imaginables, depuis l’archimillionnaire jusqu’à l’irrégulière, et le mouvement est là », écrit le journaliste Jules Huret.
« Le Waldorf-Astoria est l’une de ces institutions colossales que l’on ne voit qu’en Amérique. C’est un monstre qui vaut d’être dépeint », poursuit l’envoyé spécial français, qui semble ne plus savoir où donner de la tête : « Du marbre dans les vastes couloirs, du marbre dans les escaliers, du marbre partout, du marbre orné, doré, comme dans une cathédrale byzantine. Partout des canapés de velours, des fauteuils de soie, des sofas, des chaises de cuir ».
« Et je n’essayerai pas de rendre le mouvement incessant de fourmilière qui anime les salles de thé, le palmarium, le café, le bar, les salons de réception, la salle de billard, le salon des dames, qui est le salon de Marie-Antoinette exactement restitué, tout en étoffes claires, en meubles délicats et contournés, vernis Martin et imitation de Boule », écrit un Jules Huret qui s’extasie devant les « larges et luxueux ascenseurs électriques », la « pendule qui marche » et les « dix lampes électriques » par chambre, les salles de réception « d’un luxe inouï », les salons « d’un luxe et d’une richesse extraordinaires » : « tout est disposé pour que tout soit possible et pratique ».
Et le journaliste de visiter les coulisses du Waldorf, où « tout est énorme » : « Rien qu’à la lingerie, il y a 95 employées femmes qui ne sont occupées toute la journée qu’à plier les napperons. 7 employés ne font du matin au soir qu’ouvrir des huîtres ». « La buanderie lave et repasse 60 000 pièces de linge par jour », les caves, d’où sortent 6 000 repas journaliers, sont « remplies de victuailles à nourrir une ville entière », « le personnel se compose de 1 636 employés (…) de toute sorte : parmi lesquels, 96 cuisiniers et marmitons, 18 boulangers, 165 laveurs de vaisselle, 177 pages et grooms, 105 porteurs de bagages et balayeurs, 560 garçons, 175 femmes de chambre, etc., etc. ».
Un avenir incertain
Détruit en 1929 pour laisser place au futur Empire State Building, le Waldorf déménage sur Park Avenue, où le cabinet d’architectes Schultze and Weaver édifie en 1931 un bâtiment Art déco de 42 étages et 1 400 chambres et suites plus luxueuses les unes que les autres. C’est, le jour de son inauguration, le plus grand hôtel du monde. Après 86 ans de bons et loyaux services, le repère du gotha new-yorkais, où tous les deux ans avait lieu le célèbre Bal des Débutantes, met donc la clé sous la porte. Si le flou persiste quant à l’ampleur des travaux dont bénéficiera l’établissement, une chose semble acquise : la partie hôtelière devrait être fortement réduite, pour faire place à des appartements de luxe privés.
Si la façade, inscrite depuis 1993 sur la liste des monuments emblématiques de New York, ne risque rien, il n’en est pas de même du mythique hall d’entrée, de la non moins légendaire salle de bal ou de l’immense mosaïque de l’entrée, signée Louis Rigal. Restent les souvenirs – et la fierté – des anciens employés du Waldorf Astoria, comme le groom Paul Hopkins, selon qui l’hôtel fut « un formidable endroit où travailler. Rien que dans l’ascenseur, on (pouvait) rencontrer plein de gens célèbres, tous les présidents, les chefs d’entreprise, tout ceux qui font partie du ‘1%’ » des personnes les plus riches au monde. Le phénix renaitra-t-il de ses cendres ? Réponse en décembre 2020…