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Longtemps réticent à franchir le cap digital, le secteur du luxe a tout intérêt à adopter l’intelligence artificielle. De la création à l’expérience client, tour d’horizon non-exhaustif des potentialités ouvertes par ces nouvelles et prometteuses technologies.
Comme nous le rappelions dans nos colonnes en février dernier, le monde du luxe et celui du digital n’ont pas toujours fait bon ménage. Traditionnellement synonyme de service d’excellence et d’expérience ultra-personnalisée en boutique, le secteur du luxe a entamé son virage numérique avec un certain retard sur d’autres segments d’activités ; et une frilosité certaine. Si les grandes maisons de mode, de maroquinerie ou de joaillerie – et même les maisons d’enchères comme Christie’s, Artcurial ou Sotehby’s – s’adaptent progressivement à une clientèle de plus en plus connectée et informée, sont-elles prêtes à passer le cap de l’intelligence artificielle (IA) ?
Dior pionnier sur l’IA
Elles y aurait pourtant tout intérêt. Selon une étude réalisée par IBM, 85% des interactions en B2C (c’est-à-dire l’ensemble des relations qui relient les entreprises et les consommateurs) seront gérées, d’ici à 2020, par le biais de l’IA. Une opportunité en or pour les grandes marques du luxe, dont l’objectif n’est-il pas de devancer, voire de dépasser, les attentes de leurs clients par une connaissance toujours plus pointue de leurs désirs et comportements ? Pour améliorer et personnaliser toujours plus l’expérience client et, qui sait, les connaître mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes, l’IA ouvre un véritable éventail de possibilités.
A commencer par l’étape, ô combien décisive, de la création. « En captant des signaux forts et faibles dans une grande quantité d’informations, l’intelligence artificielle peut enrichir la phase de la réflexion en amont et en aval de la création d’un produit. Si cet outil peut accompagner la créativité et détecter les tendances, il peut aussi aider la marque à comprendre ce qui se passe autour d’elle pour mieux anticiper les désirs de ses clients et futurs clients », estime ainsi Laura Perrard. A condition, précise la fondatrice du Salon du Luxe à Paris, que le créateur reste le « chef d’orchestre ».
La connaissance approfondie des clients permet surtout d’offrir à ceux-ci des expériences de marque qui sortent de l’ordinaire, en gérant leurs émotions et en tentant d’y répondre le plus finement possible. Ainsi, des technologies de reconnaissance émotionnelle, comme celle développée par Datakalab, sont désormais à même d’identifier les expressions, sentiments et impressions d’un visage, et de reconnaître les états émotionnels grâce à une caméra – une technologie d’ores et déjà utilisée par certains écrans publicitaires disposés en ville.
Pionnier en la matière, Dior a lancé en 2017 un chatbot, un logiciel équipé d’une IA, qui interagit avec ses clients – actuels ou potentiels – via l’application Messenger du réseau social Facebook. Grâce à l’outil Dior Insider, la marque de LVMH personnalise sa communication B2C, en posant des questions aux abonnés à sa newsletter afin de mieux cerner leurs attentes. GIF, emojis, e-commerce : rien ne manque à ce marketing expérientiel nouvelle génération, qui crée « une passerelle entre l’expérience personnalisée proposée aux clients en boutique et l’expérience en ligne ».
Ne pas opposer intelligence humaine et IA
Les applications de l’intelligence artificielle dans le secteur du luxe sont légions : conciergerie numérique ; stylisme personnalisé, comme avec la plateforme aux trois millions de clients Stitch Fix ; optimisation des circuits en magasin grâce à l’intelligence émotionnelle ; enchantement du storytelling ; conservation de la mémoire des maisons de luxe, un enjeu crucial pour pérenniser les savoir-faire traditionnels lorsqu’une génération d’artisans succède à une autre ; optimisation des stocks ; amélioration de la connaissance de la concurrence ; etc.
L’IA et les robots vont-ils alors, comme certains le redoutent, remplacer l’intelligence humaine – et les emplois qu’elle représente ? Il s’agit d’un débat trompeur, selon Laura Perrard, qui estime que « bien que légitime, la question de savoir si l’intelligence artificielle va remplacer les savoir-faire ancestraux qui font la réputation et l’unicité du luxe n’est peut-être pas la bonne interrogation. Il ne s’agit pas d’opposer l’humain et l’intelligence artificielle, mais plutôt de se demander comment le luxe peut intégrer cette technologie, au risque de disparaître dans un monde dont on ne peut freiner l’évolution… »
« Le premier carburant d’un écosystème français de l’intelligence artificielle reste l’argent »
Si les promesses de l’IA sont alléchantes, encore faut-il que les conditions soient réunies pour que les marques et groupes de luxe profitent de ses opportunités. « Pour être gagnée, estime l’ingénieur Yves Poilane dans Le Monde, la bataille doit être menée sur plusieurs fronts, car bâtir un écosystème performant en matière d’intelligence artificielle suppose de réunir des conditions bien spécifiques. Tout d’abord, il faut des acteurs performants : les grandes entreprises, puissantes financièrement, détentrices et productrices de données. Mais aussi des start-up et des PME-PMI, plus agiles, innovantes et prêtes à prendre des risques ; les pouvoirs publics ; (…) les ingénieurs et cadres spécialisés de l’IA (et enfin) les grandes écoles et universités ».
Surtout, insiste Yves Poilane, « le premier carburant d’un écosystème français de l’intelligence artificielle restera l’argent ». Et l’ingénieur d’en appeler aux « grands mécènes » français que sont Free et Xavier Niel, à l’origine de l’Ecole 42 et de la Station F, ou encore LVMH, qui a ouvert récemment la Fondation Louis Vuitton dédiée à l’art contemporain. Un appel qui ne devrait pas rester longtemps sans réponse…