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Retour en deux volets sur la dernière Fashion Week cubaine, symbole du renouveau du secteur de la mode sur l’île.
Maria Karla
Herrera
« Artisanat et identité » : l’ouverture revendiquée par le slogan de la semaine de la mode havanaise a permis aux couturiers cubains de proposer un large éventail de créations. Le public a ainsi pu admirer sur les podiums des déclinaisons de la « chemise nationale » cubaine, la « guayabera », ainsi que des ensembles aérés en lin ou en coton, présentés par des créateurs inspirés par la tradition locale. D’autres créateurs ont, quant à eux, pris le parti de l’inventivité, à l’image de Jennifer Yanes et de sa marque Meduse, qui ont conquis les visiteurs avec des créations sensuelles, aux lignes et volumes suaves, proposant un jeu de matières et de transparences ainsi qu’une réappropriation de la chemise masculine, déclinée pour tous les sexes et les âges. L’imaginaire de Jennifer est caractérisé par l’expérimentation et l’asymétrie, archétypales de marques japonaises telles qu’Issey Miyake ou Comme des Garçons.
Avec une proposition qui relève davantage du design et du graphisme, la marque Fresko a, quant à elle, présenté des ensembles simples mais percutants, comme des robes aux formes rétro, des jupes en corolle ou des pantalons aux lignes droites : autant d’éléments visuels qui marquèrent les Cubains au cours des années 1970 et 1980. Deux autres créatrices, Isabel María Pérez et Carolina García, ont également opté pour des propositions aux allures très graphiques, inspirées des affiches de cinéma à la cubaine.
De son côté, la créatrice cubaine Salomé mêle allègrement modernité et tradition. Son défilé fut conçu autour de la figure iconique du tailleur, décliné à la manière de Chanel. La superposition de matières et les forts contrastes entre les couleurs rouges et noires apportèrent, lors de son défilé, une touche de sensualité à ses ensembles d’une élégante horizontalité.
Quant à Jorge Luis Cristo et Juan Carlos Jiménez, ils ont combiné avec ingéniosité le délavé militaire et le street-wear pour proposer une ligne très urbaine, très expressive, aisément portable même sous le soleil des tropiques.
Fait notable, trois créateurs français ont également participé à cette Semaine de la mode havanaise : Paul-Hervé Elisabeth, Eliette Lesuperbe et Alex Rotin. Des propositions qui ont mis en dialogue les tendances en vogue dans l’Hexagone avec l’énergie de la capitale cubaine. La musique fut le leitmotiv de chaque défilé, avec la présence de plusieurs musiciens de cette île sur laquelle les notes sont toujours à fleur de peau.
In fine, cette édition de la Semaine de de la mode à La Havane a repérsenté un point de départ important pour la création nationale cubaine. Bien que cette manifestation en soit encore à ses débuts et que plusieurs problèmes d’organisation nuisent à la qualité de l’évènement, la seule existence d’un pôle de promotion de la culture vestimentaire locale et de la créativité nationale demeure, à Cuba, un acquis important de ces dernières années.
L’organisation de la Semaine de la mode par les autorités cubaines ne doit rien au hasard, et s’inscrit dans un contexte créatif particulièrement propice pour le secteur. Dans un pays où la connexion à Internet reste insuffisante, une marque comme Clandestina, qui milite pour une identité graphique cubaine aussi assumée qu’éloignée des clichés traditionnels, a ainsi récemment lancé son site de vente en ligne.
Et, plus de cinquante ans après la disparition des magazines de mode cubains, GARBOS, un nouveau mensuel dédié à la mode, a été lancé de manière indépendante en 2015, permettant à une nouvelle génération de photographes, tels que May Reguera ou Eduardo Rodríguez, de faire leurs preuves et de créer un espace de dialogue autour de l’habillement, du bien-être et de la création en général.
Ces avancées, pour limitées qu’elles soient encore, n’en sont pas moins hautement symboliques dans le Cuba d’aujourd’hui. Elles ouvrent des espaces de liberté pour les créateurs cubains, mais aussi pour les consommateurs du pays. Comme d’une boîte de pandore, les démons de la mode se sont échappés pour conquérir un pays où la créativité et le sourire sont érigés en mode de vie.