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Harriet Agnew, correspondante du Financial Times à Paris, a déjeuné avec Bernard Arnault, le président du groupe LVMH, et raconte à la première personne son entretien dans les colonnes du journal britannique. Les Carnets du luxe en publient quelques extraits.
A Paris, on dit que toutes les routes mènent à Bernard Arnault – l’homme dont l’habilité en affaires lui a valu le surnom de « loup du cachemire ». Son groupe LVMH a récemment signé un partenariat avec Rihanna et déboursé 200 millions au débotté pour la reconstruction de Notre Dame. M. Arnault a par ailleurs récemment remplacé Warren Buffet à la troisième place du classement des plus grandes fortunes mondiales avec 110, 4 milliards de dollars d’après Bloomberg.
En quatre décennies, il aura fait de LVMH l’un des plus importants groupes mondiaux (46,8 milliards de chiffre d’affaires en 2018) qui compte aujourd’hui dans sa constellation Louis Vuitton, Dior, Givenchy, Veuve Clicquot ou encore Dom Pérignon. « J’ai toujours aimé être le premier » explique Bernard Arnault sans fausse modestie. « Je n’y suis pas parvenu au piano et au tennis », confie-t-il, avant de poursuivre, sans ironie : « Nous sommes encore petits. Ça n’est que le début. Nous sommes en pole position mais nous pouvons aller plus loin. »
Nous déjeunons chez Frank, en face de ses bureaux afin de ne pas perdre de temps. « Ici, tout est bon » affirme-t-il – après tout, il possède aussi ce restaurant. Sur sa recommandation, je commande le velouté de petits pois et un tartare de saumon. Il nous commande deux verres de Chablis, trinque puis avale une gorgée. Il ne touchera plus son verre du repas.
Une fascination pour Dior
Si LVMH s’est peu à peu imposé comme l’arbitre des élégances mondiales, M. Arnault a commencé dans le bâtiment. Il a intégré l’entreprise familiale après être sorti de l’Ecole polytechnique. C’est à cette époque que, lors d’un voyage aux Etats-Unis, il comprend le potentiel des marques de luxe françaises. En 1984, il parvient à convaincre le gouvernement français de le laisser racheter pour un franc symbolique le groupe Boussac – un groupe de textile sur le point de mettre la clé sous la porte, possédant néanmoins le joyaux Christian Dior. La marque avait toujours « fasciné » sa mère, raconte-t-il. Elle sert encore aujourd’hui de clé de voute à son empire.
Avec cet achat, il insuffle dans le monde tranquille des affaires françaises des années 80 une nouvelle ambition toute anglo-saxonne. « J’ai dit à mon équipe que nous allions construire le plus grand groupe de luxe au monde » explique-il. « C’est évidemment très ambitieux, mais ça a galvanisé tout le monde, et nous avons commencé à construire ». L’objectif ? Bâtir un ensemble où chaque marque conserverait sa liberté créative, tout en bénéficiant de la logistique et du financement d’une grosse structure. « Le plus gros avantage est que cela permet de recruter les meilleurs des meilleurs » s’amuse-t-il.
Il est l’un des acteurs à l’origine de la création de LVMH en procédant au rapprochement des entreprises Moët Hennessy et Louis Vuitton. En 1989, il prend la tête du groupe et s’impose comme un acteur incontournable du secteur. Puis il conquiert Givenchy, Château d’Yquem ou encore Duty Free Shoppers. Lorsque je lui parle de sa réputation de « prédateur » dans le milieu, il répond nonchalamment « Je ne sais pas ». Et d’ajouter : « Il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils disent du bien d‘un concurrent ».
Un pionnier du marché du luxe et un visionnaire
Bernard Arnault a également été l’une des figures qui a transformé le marché du luxe en industrie colossale avec plus de 260 milliards annuels. Certains disent que cette évolution a mis à mal l’artisanat – un temps nécessaire à la production des objets de luxe – tout en enrichissant considérablement les magnats du secteur. Le plus gros des revenus de secteur ne vient en effet plus de la haute couture, mais des parfums et du maquillage que n’importe qui peut s’offrir pour une vingtaine d’euros.
« Ce que les gens appellent le luxe est un concept très relatif selon les individus » rétorque Bernard Arnault. « Le mot de luxe est un peu galvaudé. Je préfère l’expression de ‘produit de haute qualité’. Ce qui compte, c’est que dans dix ans nos marques soient toujours aussi attractives qu’aujourd’hui. Les bénéfices ne sont que la conséquence d’un travail bien fait, pas un objectif en soi. » Mais la clé du succès de LVMH est aussi d’avoir été un pionnier dans les marchés émergents – en particulier en Chine.
Lorsqu’il est questionné sur son succès – et sa fortune – M. Arnault répond simplement : « Qu’est-ce que ma fortune sinon mes actions, ce que nous avons construit avec mes équipes ? ». « Le groupe est passé de 12 000 à 156 000 personnes, recrutant de 12 000 à 15 000 salariés par an ». « Et nous sommes le groupe qui paie le plus d’impôts en France ».