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Bill Willis brillait par sa beauté. Élancé, un visage d’ange dur, une foisonnante chevelure bouclée, il possédait ce charme intense, un peu magnétique, qui restera comme le sceau des premières années 1970. Mais il n’était pas seulement un play-boy ; sa culture visuelle, son extraordinaire inventivité, toujours renouvelée, ont fait de lui l’un des plus grands architectes d’intérieur de sa génération.
Il était arrivé à Marrakech en 1966, dans les bagages de ses amis Paul et Talitha Getty. La ville ne jouissait pas alors de la célébrité qu’elle a gagnée dans les années suivantes. C’était plutôt Tanger qui attirait les artistes et les excentriques du vieux et du nouveau monde. L’un des meilleurs amis de Bill Willis, et l’un de ses plus solides compagnons disons… « de débauche », Joe Mc Phillips, était d’ailleurs le directeur de l’École américaine de Tanger. Bill Willis fait partie de ceux qui ont contribué à imposer Marrakech. On buvait sec chez les Européens du Maroc, à cette époque. Bill Willis n’était certes pas le dernier. Son amour pour le whisky et les cocktails était franchement immodéré. Le jour où, avec Mc Phillips, il rata un avion pour avoir trop trainé dans les bars, puis rata encore le suivant pour avoir trop arrosé l’attente à l’aéroport, est resté légendaire !
Ils appartenaient à cette dernière génération d’une société de l’otium
Bill Willis avait fait la connaissance de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent dès les tout premiers mois de sa présence à Marrakech. Comme l’avaient fait les Getty, ceux-ci lui demandèrent de s’occuper de leur villa (Dar es Saada d’abord, la Villa Oasis ensuite), confiants dans le doigté avec lequel il savait unir les traditions artisanales de l’Atlas et le goût des objets d’art, la tendance au dépouillement et la passion du baroque. Aussi originales que fussent les propositions de Bill Willis, elles étaient toujours marquées au coin de l’élégance. Une amitié très forte naquit entre Saint Laurent et lui, dont la vie s’est terminée presque en même temps. Le couturier lui écrivait de magnifiques billets enluminés, où il donnait libre cours à son incomparable coup de crayon. Tous deux appartenaient à cette dernière génération d’une société de l’otium, incompatible avec les rythmes frénétiques de la modernité avancée, où l’on prenait le temps, tout le temps, du plaisir et du bonheur. La fête durait tard dans la nuit, les conversations entre amis choisis étaient interminables, et malheur à qui venait interrompre un sommeil réparateur ! Hélène de Rotschild en fit les frais le jour où, ayant pris rendez-vous avec Willis pour midi et étant venue de Paris tout exprès, elle se décida à appeler son architecte vers deux heures et s’entendit répondre, avec indignation, l’une des expressions favorites du dandy : how uncivilized !
« Bill Willis est un aimant »
Bill Willis, qui pouvait sembler imprévoyant, avait décidé du destin de ses souvenirs les plus chers. C’est à son amie Christine Alaoui qu’il a légué son album de photos. Merveilleux document ! Il constitue une véritable chronique en images des années les plus brillantes du Marrakech cosmopolite. Toute une société revit dans ces pages. On y voit par exemple Serge Lutens, le grand créateur de parfums, qui était tombé sous le charme de Marrakech au milieu des années 1970. Chez Bill on croisait aussi, parmi bien d’autres artistes, Bernardo Bertolucci. Tous ceux qui ont fait la culture si libre et si féconde d’avant les crises sont passés par Marrakech, et il était difficile de ne pas y être happé par la séduction du décorateur, comme l’a noté John Hopkins, à qui on laisse le mot de la fin, dans ses Carnets de Tanger : « Bill Willis est un aimant. Les représentants de la jet set ne viennent pas à Marrakech pour voir les tombeaux des Sa’diens, le palais Badi ou les remparts. Ils se dirigent tout droit sur l’incroyable maison de Bill. »