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Mardi 15 juin, la maison Chanel présentait le rapport sur ses perspectives financières. Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, ces résultats étaient particulièrement attendus. La stratégie de reprise l’était tout autant, et elle n’a pas manqué de surprendre les observateurs. La maison de la rue Cambon a décidé de renforcer ses investissements dans une stratégie de développement très ambitieuse.
Chanel en 2020 : recul des ventes prévisible
Si les experts pensaient que le changement de direction artistique et une stratégie anti e-commerce allaient freiner Chanel, ils en sont pour leurs frais. Certes, la maison Chanel n’a pas été épargnée par la crise, mais sa position économique, renforcée ces dernières années, lui a permis d’amortir le plus lourd de la crise. C’est en tout cas ce qui ressort des résultats financiers présentés hier par Philippe Blondiaux, le directeur financier de la marque.
Du côté des mauvaises nouvelles, Chanel a encaissé une baisse de ses ventes de 18% en 2020. Un score à peine moins bien que ceux des géants LVMH (-16%) et Kering (-17,6%), mais largement derrière la maison Hermès et son excellente performance à seulement -6%. Avec des ventes à 8,3 milliards d’euros en 2020, Chanel fait le dos rond. Philippe Blondiaux souligne notamment l’impact très lourd de la fermeture des points de vente, en particulier les zones de transit duty-free, qui sont habituellement très favorables pour les ventes de parfumerie et de cosmétiques de Chanel.
Premier semestre 2021 : « un élan profond et durable »
« Nous affichons depuis le début de l’année une croissance des ventes à deux chiffres par rapport à 2019 et nous ne voyons aucune raison pour que cette tendance change. » D’après Philippe Blondiaux, l’heure est à l’optimisme. Et le rebond économique dont profite actuellement le marché du luxe n’a rien de passager. Ce rebond était déjà visible sur les ventes du dernier trimestre 2020. Il se renforce cette année. Le directeur financier de Chanel estime que « nous avons dépassé ce que certains ont appelé l’achat de revanche« .
Il semble en effet que la désirabilité de la marque Chanel sorte renforcée par la crise. Sans surprise, le rebond des ventes s’appuie sur de bonnes performances aux Etats-Unis, et surtout en Chine. La marque Chanel est particulièrement bien positionnée sur le marché chinois. D’après l’étude Agility Luxury Brand Affinity de début juin, Chanel est même la marque de luxe préférée des clients chinois. Première du classement, elle obtient un score quasi parfait de 99 points sur 100.
1,36 milliard de dollars d’investissements en 2020 pour Chanel
Philippe Blondiaux analyse le rebond économique actuel : « C’est un élan profond et durable, qui n’est peut-être pas vrai pour tous les acteurs de l’industrie du luxe mais qui l’est pour les grandes marques qui ont continué à investir comme nous l’avons fait. » De fait, depuis un an, Chanel a adopté une stratégie largement offensive pour assurer sa reconquête au moment du rebond économique.
En 2020, Chanel a investi 1,36 milliard de dollars, soit une hausse du budget investissement de 45% par rapport à 2019. La somme est un record pour l’entreprise française. Elle amorce aussi une stratégie qui s’inscrit dans la durée, puisqu’en 2021 Chanel devrait maintenir ses investissements à un niveau très élevé. Le but de la marque ? Prendre de l’avance sur les autres acteurs qui investissent moins, et qui investissent surtout sur les leviers digitaux.
Chanel et le e-commerce : une stratégie nommée désir
S’il y a bien un axe différenciant que Chanel sait mettre en valeur, c’est son rapport pour le moins ambivalent avec le e-commerce. La maison Chanel vent ses parfums et ses cosmétiques en ligne. Mais elle se refuse obstinément à présenter ses collections de mode en e-commerce. Une stratégie à double tranchant puisque la marque se coupe d’importantes opportunités business. La preuve avec ses résultats e-commerce pour la parfumerie et la beauté. Sur le premier semestre 2021, les ventes gagnent +57%. Au global de l’année 2020, elles ont progressé de +113%. Nul doute que le prêt-à-porter aurait pu bénéficier d’un tel élan.
Pourquoi cet entêtement anti-e-commerce ? Jusqu’ici Chanel a privilégié une logique omnicanale avec une expérience très qualitative sur ses points de vente physique, soutenue par les services digitaux. La maison ne souhaite pas dégrader son image de marque en banalisant la vente en ligne de ses articles. Sur le long terme, cette logique de la rareté pourrait bien s’avérer payante, comme le démontre la success story d’une marque comme Supreme qui a fait de l’effet FOMO sa carte de visite.
Investissements en 2021 : quelle stratégie pour Chanel ?
Puisque Chanel n’investit pas dans le e-commerce, à quoi correspond cette augmentation des capitaux mobilisés ? Chanel investit sur son réseau retail. La marque ambitionnait d’enregistrer 80% de ses ventes en local pour s’émanciper de la clientèle touristique. Depuis 2020, c’est désormais une réalité sur la zone Asie.
Les investissements serviront en priorité à consolider le réseau physique. Chanel prévoit d’ouvrir de nouveaux points de vente pour la parfumerie et les cosmétiques. Elle compte aussi capitaliser sur le succès de ses collections de haute joaillerie et d’horlogerie. En 2022, Chanel ouvrira une boutique à Los Angeles. La maison prévoit aussi d’acquérir sa boutique londonienne de New Bond Street. Et plusieurs points de vente du réseau devraient bénéficier d’une refonte.
Une partie des investissements devra aussi renforcer les applications servicielles. Chanel veut déployer un service de conciergerie pour accompagner ses clients, ainsi qu’une application de conseil de vente à distance. Plusieurs outils de fashion tech et de beauty tech devraient aussi voir le jour ces prochaines années. Enfin, Chanel compte accélérer ses investissements en matière de développement durable pour réduire son empreinte carbone. La marque vient d’ailleurs d’adopter de nouvelles ambitions, en collaboration avec l’initiative Science Based Targets.
En complément, la maison entend bien réaffirmer son esprit d’indépendance. Non seulement Philippe Blondiaux a balayé toute idée de rachat de Chanel par un groupe de luxe, mais la maison continue d’investir pour assurer sa chaine d’approvisionnement. Dernier projet en date : Chanel a investi dans une ferme aux camélias, située dans les Landes, pour garantir les besoins de sa fabrication de parfums.