|
|
Depuis le début de la crise sanitaire, la plupart des maisons de luxe (LVMH, Hermès etc.) ont réorienté leur production et réduit les rémunérations de leurs dirigeants afin d’afficher leur solidarité et une sobriété de circonstance. La crise est l’occasion, pour le secteur du luxe, de préciser sa raison d’être dans une société en pleine résilience.
Tout le monde s ‘accorde à dire que la crise sanitaire devrait entraîner une crise économique, financière, sociale, voire politique, de grande ampleur. Dans ce contexte, à quoi peut servir le secteur du luxe ? Quelle peut donc être sa raison d’être à l’heure de ce qui pourrait ressembler à la Grande Dépression des années 30 ?
Depuis le début de l’épidémie, le secteur ne chôme pas, fait profil bas, voire contribue significativement à un effort de guerre financier et industriel. « Dans un souci de sobriété, un certain nombre de fleurons de la cote parisienne comme LVMH (…), Hermès (…) ont accepté de baisser leurs dividendes de l’ordre de 30 %, voire 50 % » rappelle Sophie Rolland dans les Echos. Une réduction des dividendes versés aux actionnaires est en effet prévue à l’occasion des prochaines assemblées générales, ainsi que des baisses dans la rémunération des dirigeants, afin de jouer sur un double levier financier.
LVMH, Hermès : double levier financier et réallocation de la production
Certaines entreprises de luxe ont apporté un soutien financier conséquent, comme le don de plusieurs millions d’euros à la Fondation des hôpitaux de France de la part de Bernard Arnault, patron du leader mondial LVMH. Du côté industriel, les grandes maisons de luxe ont recours à leurs unités de production pour fabriquer des solutions hydroalcooliques, tels que LVMH ou Hermès, ou des masques et des blouses (Chanel).
La pandémie pourrait leur permettre ainsi de préciser pour certaines ou de faire rayonner pour d’autres leur « raison d’être », c’est-à-dire la façon dont elles souhaitent jouer un rôle dans la société, en dehors du simple profit. Une raison d’être encouragée depuis l’entrée en vigueur le 11 avril 2019 de la Loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en France, destinée à faire grandir les entreprises françaises et repenser la place des entreprises dans la société.
Slow luxury et luxe durable
« Comme lors de chacune des précédentes crises, la question de l’avenir du luxe est posée par les analystes, les moralistes, les critiques qui prédisent systématiquement la fin du luxe » explique Jean-Noël Kapferer dans un article de The Conversation. « C’est pourquoi les ventes du luxe sont les premières à décliner mais aussi à repartir dès que les premiers signes d’optimisme réapparaissent. Ceci eut lieu après les attentats du 11-Septembre, la crise financière de 2008, celle du SARS, etc. »
La crise économique, sociale, et peut-être morale que l’épidémie du covid-19 risque de provoquer va nous forcer, comme le précise Isabelle Chaboud dans une autre tribune de The Conversation, « à mettre sur pause nos comportements d’achat », ce qui « pourrait faire entrer l’industrie du luxe dans l’ère du ‘slow luxury’ et provoquer une vraie prise de conscience en matière d’économie circulaire ». Le « slow luxury » ou luxe durable vise une meilleure transparence de l’information et traçabilité des produits.
« Les marques de luxe devront embrasser ce futur qui vient de s’inviter dans nos vies »
Si le luxe n’est donc pas voué à disparaître, il devrait malgré tout se transformer en profondeur, notamment à la faveur de la crise. Isabelle Chaboud observe quatre grandes mutations du secteur, déjà à l’oeuvre aujourd’hui notamment chez les millenials, et qui devraient se renforcer dans le monde d’après la crise : d’abord une accélération du développement digital via des parcours-client, le recours aux market place, la tenue de pop-up shops, et une communication plus axée sur le virtuel. Ensuite une explosion du marché de seconde main – comme on le voit déjà avec le succès de Vestiaire collective -, une évolution des usages vers des marques de luxe prenant en compte le développement durable et la responsabilité sociétale, enfin de nouvelles concentrations sectorielles avec le rachat probable de concurrents, de sous-traitants et de fournisseurs par les leaders du luxe.
« À court terme, pour prévenir les effets d’autres crises sanitaires menaçant les magasins, le secteur du luxe devra mettre les bouchées doubles pour augmenter la part de l’e-commerce dans ses revenus, partout dans le monde et aussi en Chine, là où elle est pourtant la plus haute dans le monde » rappelle Jean-Noël Kapferer. Et d’ajouter : « les marques de luxe devront embrasser ce futur qui vient de s’inviter dans nos vies brutalement du jour au lendemain ».