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« Comme lors de chacune des précédentes crises, la question de l’avenir du luxe est posée par les analystes, les moralistes, les critiques qui prédisent systématiquement la fin du luxe, » expliquait dernièrement le spécialiste du secteur Jean-Noël Kapferer dans un article de The Conversation. « C’est pourquoi les ventes du luxe sont les premières à décliner mais aussi à repartir dès que les premiers signes d’optimisme réapparaissent. Ceci eut lieu après les attentats du 11-Septembre, la crise financière de 2008, celle du SARS ». Et après la pandémie du Covid-19?
La crise sanitaire aura été l’occasion pour le secteur du luxe d’accélérer certaines transformations de fonds qui le traversaient depuis quelques années. Le e-commerce apparaît comme le grand gagnant de la pandémie, avec ses marketplaces et ses parcours-clients, qui pourraient représenter 30% du marché du luxe en 2025, selon le cabinet de conseil Bain & Company.
Commerce digital et local
Pour le reste, c’est un commerce essentiellement local qui a repris ces dernières semaines. Depuis le 11 mai, la plupart des grands magasins du secteur du luxe ont rouvert leurs portes à une clientèle essentiellement française, en appliquant un protocole sanitaire strict : solutions hydroalcooliques à l’entrée, écrans en Plexiglas dans les boutiques, sacs à main mis en quarantaine après essayages, distanciation entre les clients etc. Des signes plutôt encourageants annoncent une reprise lente et progressive du secteur.
«Le groupe LVMH commence à voir les signes d’un rebond, en particulier dans les pays asiatiques qui ont été déconfinés avant nous. Ici en France, on a vu deux premières semaines et demi plutôt rassurantes et plutôt encourageantes sur le renouveau d’une envie de consommer» précisait sur le plateau de Quotidien Antoine Arnault, directeur général de Berluti et administrateur du groupe LVMH (34 000 emplois au France et 163 000 collaborateurs dans le monde).
Antoine Arnault (LVMH) « Quand on consomme du luxe, on est éco-responsables »
La crise sanitaire aura également encouragé les entreprises du luxe à définir et assumer « leur raison d’être ». D’ailleurs, il n’est plus question aujourd’hui pour les millennials d’acheter des produits de marques qui n’affichent pas les valeurs de respect, d’inclusion, et la prise en compte des problématiques sanitaires et environnementales. Mais le luxe, souvent associé à des notions de futilité et de superflu, peut-il véritablement se revendiquer écologiquement responsable ?
«Quand on consomme du luxe, on est éco-responsables : ce sont de toutes petites séries qui sont produites, ce sont des produits qui sont fabriqués de façon artisanale et qui sont extrêmement durables, affirme Antoine Arnault. On avait été pas mal critiqués l’an dernier quand notre groupe avait refusé de signer le Fashion pact, un pacte qui rassemblait beaucoup de marques de luxe, mais aussi beaucoup de marques de fast-fashion*. On est l’anti fast-fashion».
Anti fast-fashion, jusqu’à la «déconsommation» ?
A la faveur de la crise du Covid-19, de nombreuses personnalités publiques ont voulu, à raison, tirer la sonnette d’alarme sur le consumérisme de notre époque, au point d’envisager pour le monde d’après une société de la déconsommation, où « il n’est donc plus question d’un consommer autrement, mais bien de nier, détruire, cesser de consommer… ce qui au regard de nos sociétés, est tout simplement impossible » expliquent Valérie Zeitoun et Géraldine Michel dans un article de The Conversation.
La crise sanitaire nourrit un débat de fond sur la nécessité de maîtriser notre consommation, en gardant de vue l’acte rationnel et utilitaire derrière chaque achat : « appeler à la déconsommation, c’est ne pas considérer la matérialité de la consommation, et cela revient, tout bonnement, à nier les difficultés quotidiennes et bien concrètes de ceux qui n’ont pas ou plus de superflu à délaisser » rappellent les deux journalistes.
« En temps de crise, il faut réfléchir à un reset radical », a récemment affirmé au New York Times la grande papesse de la mode Anna Wintour. « Le luxe ne peut pas et ne doit pas être rapide […]. Cette crise est une opportunité pour ralentir et réaligner chaque chose » résumait Giorgio Armani dans une lettre ouverte au média WWD.Le luxe est mort, vive le luxe…
*fast-fahion : mode rapide et jetable