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Nos lecteurs le savent, la ligne éditoriale des Carnets du luxe se déploie en deux branches : la présentation de marques relevant d’un véritable savoir-faire d’excellence d’une part, l’analyse de stratégies marketing mêlant l’univers du luxe à celui de l’art d’autre part. Il arrive cependant que les deux se recoupent comme c’est le cas actuellement dans le showroom du designer Thierry Lemaire. Ce dernier a en effet eu l’idée lumineuse d’exposer des tableaux de l’artiste Michael Romanenko à côté de son mobilier haut de gamme.
Un design de luxe
Rappelons tout d’abord qui est Thierry Lemaire. Architecte de formation, l’homme se définit volontiers comme architecte d’intérieur mais, plus que de simplement sélectionner et assembler des meubles ou accessoires créés par d’autres, il est à l’origine de plusieurs collections de mobilier design, notamment pour la marque Fendi Casa. Très attentif à la qualité, et travaillant pour ce faire avec des artisans talentueux, ses créations ont même été remarquées par la marque Dior qui en utilise certaines dans ses boutiques à travers le monde. Fruits de savoir-faire d’excellence, les lignes épurées de ses canapés et fauteuils qui n’ont pas, pour autant, renoncé au confort lui ont par ailleurs valu d’être sélectionné par le Mobilier National pour redessiner plusieurs salons de réception du Palais de l’Élysée ainsi que le bureau du président de la République. Mais, parallèlement à ces collaborations prestigieuses, il présente ses meubles d’exception dans son propre showroom situé au cœur du quartier des Antiquaires.
Un art de qualité
Michael Romanenko, pour sa part, est artiste. Représenté à ses débuts par la galerie Hilario Galguera de Mexico, son travail est maintenant défendu par la galerie La Fonte à Montréal. Le peintre a cependant son atelier à Paris et c’est bien en France qu’il réalise la plupart des ventes de ses petits (environ 20 par 30 cm) comme très grands (plus de 2 mètres par 3) formats. Explorant les mêmes motifs abstraits (spirales, lignes, grilles) depuis plusieurs années, il a, comme nombre des artistes qu’il admire (Ellsworth Kelly, Agnes Martin, Roman Opalka), l’habitude de travailler en série. L’œuvre montrée actuellement dans le showroom de Lemaire est cependant une exception à cette règle puisqu’il s’agit d’un triptyque qui, réalisé durant le confinement, n’existe qu’en un seul exemplaire. C’est d’ailleurs sans doute pour cette raison que le designer, amoureux de pièces rares, a choisi d’exposer en premier cette œuvre mystérieuse.
Une stratégie d’alliance gagnant-gagnant
Cette stratégie alliant mobilier de luxe et grand art est gagnante pour les deux parties. Elle bénéficie tout d’abord au designer puisque les tableaux confèrent une aura artistique au mobilier présenté. Ils offrent un supplément d’âme à la décoration intérieure parfois reléguée au registre du superficiel, l’art étant considéré comme plus essentiel. N’a-t-on pas entendu dire, durant ce fameux confinement, que les tableaux, comme les livres, étaient « des biens de première nécessité » ? Mais la stratégie est également profitable à l’artiste qui, même représenté en galerie, peut rarement bénéficier d’un solo show plus d’une fois par an. Montré plus longtemps (une exposition classique ne dure pas plus d’un mois alors qu’un tel partenariat peut s’étendre sur une année), son travail va en plus être vu « en situation ». La clientèle du mobilier sur mesure, sensible aux belles choses et pourvue du pouvoir d’achat nécessaire pour les acquérir, est par ailleurs sensiblement la même que celle qui pousse la porte des galeries.
Sous certaines conditions
Il y a cependant quelques éléments à respecter pour qu’une opération de ce type porte ces fruits. En premier lieu, bien sûr, il est nécessaire que les deux univers puissent fonctionner ensemble visuellement. On comprend bien ici que Lemaire, qui aime allier matière brute et détails raffinés dans son propre travail, ait choisi d’exposer les œuvres de Romanenko dont l’évidence formelle est le résultat de procédés complexes de superpositions et d’effacement.
Mais, au-delà de l’univers esthétique élégant et intemporel des deux créateurs, ce partenariat fonctionne car les deux hommes se positionnent, dans leurs domaines respectifs, à un niveau similaire. Plus ou moins de la même génération, ils proposent tous deux un vocabulaire établi et reconnaissable. Ce dernier point est important car la maturité de leur démarche justifie aussi les prix qui doivent être, dans leurs registres propres, de gamme équivalente. C’est le cas ici puisqu’il faut, selon nos sources, débourser quelques 15 550 euros pour un fauteuil signé Lemaire (le modèle Kaala en ouverture de l’article), et compter environ 40 000 euros pour acquérir les trois tableaux de 140 par 100 cm de Romanenko.