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En France comme ailleurs, les contestations à l’égard de la mode éphémère se multiplient. La fast fashion serait-elle une tendance lourde ou un simple effet de mode ?
Un simple coup d’œil à l’actualité des dernières semaines suffit pour constater que quelque chose est en train de bouger dans le monde de la mode. Fermeture au Canada de la chaîne de vêtements low cost Forever 21. Ouverture à Paris d’une boutique Veja, spécialiste des « baskets éthiques ». A Argenteuil, blocage d’un magasin Kiabi par des militants de la cause climatique.
Le point commun entre ces événements ? Un rejet par les consommateurs, en tout cas par un certain nombre d’entre eux, d’une industrie qui pousse à renouveler à un rythme frénétique une garde-robe produite à bas coût dans des pays lointains, avec un impact environnemental déplorable. Ou pour le dire avec les mots de Livia Firth « celle qui produit des quantités de vêtements, vite et à bas prix, et qui engendre des esclaves. » A la tête de l’agence Eco-Age, cette consultante qui dit abhorrer le greenwashing, accompagne les marques soucieuses de développer leur stratégie écoresponsable. Parmi ses clients, The Woolmark Company, Candiani Denim, Gucci, Stella McCartney, Marks & Spencer.
Fast-fashion : des signaux contradictoires
N’est-ce pas facile de tenir un tel discours quand on s’adresse à une clientèle pour qui le prix n’est pas le premier critère d’achat ? La condamnation de la fast fashion ne serait-elle qu’un luxe de riches ? On a vu récemment à quel point il était difficile de concilier les aspirations à éviter la fin du monde et la gestion des fins de mois pour des millions de foyers. Les opérations de déstockage continuent de donner lieu à de spectaculaires ruées dans les rayons des grandes surfaces. Et les Américains, qui achètent en moyenne 68 pièces textiles par an, renouvellent leur garde-robe cinq fois plus qu’en 1980.
C’est que tout est fait pour pousser à la consommation. A Tokyo, il est possible de se faire tailler un costume sur mesure par un distributeur automatique. Sur les réseaux sociaux, l’ajout de fonctionnalités dédiées favorise les achats compulsifs en quelques clics. Certaines boutiques saturées de musique techno et débordantes de vêtements ressemblent à des Luna Park où le prix de l’attraction est devenu accessoire. La croissance de la population et l’enrichissement d’une bonne partie des habitants de l’ancien Sud ne font qu’accentuer la tendance. Selon le Boston Consulting Group, à pratiques de consommation constantes, le monde achètera au total 63% plus de vêtements, en 2030. L’équivalent de 102 millions de tonnes contre 62 millions actuellement.
Pourtant, les signaux enregistrés sur le marché de l’habillement indiquent une fatigue des consommateurs. Geoff Ruddell, analyste chez Morgan Stanley estime que le marché global de l’habillement a «atteint un plafond» et serait «en déclin structurel». Acheter plus de vêtements, explique-t-il, « ne rend plus les gens heureux ».
L’environnement, levier de transformation à long terme ?
Ils ont d’autant moins de raisons de l’être que les données et les reportages se multiplient pour révéler « le vrai coût » (titre d’un documentaire de 2015) de l’industrie de l’habillement. L’impact environnemental est devenu l’indicateur qu’on scrute avec le plus de scrupules. Dans la mauvaise conscience du consommateur, il s’est substitué à l’image culpabilisante de l’enfant asiatique payé à fabriquer des Nike. Selon McKinsey, l’industrie de la mode émet 10% des émissions de carbone dans l’air et utilise un quart de tous les produits chimiques produits dans le monde. 20% des vêtements produits ne sont pas vendus. Le reste est enterré, déchiqueté ou incinéré. Un immense gâchis planétaire.
Plus sensibles que leurs aînées à la question environnementale, les jeunes générations seraient les plus réticentes à prolonger cette course à la sape. Du moins dans les mots. Car dans les actes, les choses sont plus ambiguës. Internet aidant (une autre source massive de consommation d’énergie), on assiste à l’émergence de comportements d’achat alternatifs qui favorisent le partage et l’achat d’occasion. Selon un rapport du site de revente de vêtements thredUP, le marché de la seconde main devrait dépasser celui de la fast fashion en 2028.
Pour autant, il est sans doute un peu tôt pour « célébrer la victoire du durable sur le jetable ». Car si l’on se penche sur le phénomène, on constate que les 18-24 font preuve sur ces plateformes de la même boulimie d’achat. Autre constat : le développement de la seconde main est tout aussi glouton en transports, les trois-quarts des vêtements recyclés en France étant envoyés à l’étranger, au Maghreb ou en Europe de l’Est.
Preuve qu’il va falloir sérieusement repenser les volumes et les circuits de production si on veut vraiment sortir de la spirale du « toujours plus ».