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Après avoir déposé plainte au Japon pour contrefaçon contre la marque CUGGL, Gucci vient de connaître un grave revers. Les autorités japonaises n’ont pas donné suite à la plainte de Gucci, laissant ainsi la porte ouverte à un nouveau genre de contrefaçons d’articles de luxe. Et la maison Gucci n’est pas la seule concernée par ces contrefaçons plus créatives, qui n’hésitent plus à retourner les codes du luxe contre les marques d’origine. Alors la contrefaçon va-t-elle devenir un article de luxe comme les autres ? Quelles solutions les maisons de luxe peuvent-elles mettre en oeuvre pour se prémunir contre ces attaques ?
Que pèsent les contrefaçons dans le marché du luxe ?
Dans un article de février 2021, le magazine Vie-Publique affirmait que la France était le deuxième pays le plus touché au monde par la contrefaçon. Une position juste derrière les Etats-Unis qui s’explique notamment par la forte désirabilité des marques de luxe tricolores. De fait, en 2019, les services des douanes ont annoncé avoir saison pour 4,5 millions d’euros de produits contrefaits dans l’Hexagone. Et dans son rapport de décembre 2020, l’Assemblée Nationale estimait que les pertes économiques liées à la contrefaçon se chiffraient à 6 979 millions d’euros pour les entreprises françaises.
Mais ces estimations sont-elles fiables ? Difficile à dire. Avec l’essor du e-commerce et du marché des articles de luxe d’occasion, il devient de moins en moins facile de traquer les contrefaçons. Et il est possible que les chiffres officiels soient en-deçà de la réalité. De quoi inciter les maisons de luxe, françaises et internationales, à prendre le sujet de la contrefaçon très au sérieux.
Pourquoi Gucci a perdu contre CUGGL
C’est la raison pour laquelle Gucci, propriété du groupe français Kering, n’a pas laissé passer le cas CUGGL. A priori, il n’existe aucun point commun entre la maison de luxe italienne et CUGGL, une marque de t-shirts fondée par le japonais Nobuo Kurokawa. Sauf que le logo de CUGGL flirte ostensiblement avec la contrefaçon. Il adopte la même typographie majuscule que Gucci. Et en barrant le bas des lettres d’un trait rose, il entretient la confusion en laissant deviner le nom de GUCCI. Finalement, la différence la plus grande se situe au niveau du tarif. En effet, les t-shirts CUGGL sont en vente entre 12 et 25 dollars.
L’Office Japonais des Brevets a pourtant estimé que ces éléments n’étaient pas suffisants pour accuser CUGGL de contrefaçon. Et il a débouté la maison Gucci dans sa demande de retrait de la vente des produits. Le choc est d’autant plus grand qu’en début d’année, l’Office avait pourtant tranché en faveur de Lacoste. La marque française avait été victime du même genre de détournement, par le même Nobuo Kurokawa. Mais la présence d’un crocodile inversé sur le design parodique avait alors permis à Lacoste d’établir qu’il s’agissait bien d’une contrefaçon pouvant entraîner la confusion auprès des consommateurs.
Si la décision des autorités japonaises est une mauvaise nouvelle pour Gucci, elle ouvre également la porte à de futures collections litigieuses. Fort de son succès, Nobuo Kurokawa a déjà entrepris de déposer d’autres marques dans le même esprit. Trois marques devraient donc voir le jour prochainement : AZIDES (pour Adidas), BAIFNGLACA (pour Balenciaga) ainsi que GUANFI (pour Chanel).
Contrefaçon : les marques de luxe ont-elles ouvert la boîte de Pandore ?
En février 2022, les maisons Chanel et Yves Saint-Laurent avaient annoncé leur partenariat dans la lutte pour la défense de leur propriété intellectuelle. En parallèle, plusieurs maisons de luxe investissent dans la blockchain pour encapsuler des éléments d’authentification sensés lutter contre la contrefaçon. Mais ces initiatives semblent n’avoir que peu de poids face à l’ampleur des articles de luxe contrefaits en circulation.
Et le fond du problème, c’est que les marques de luxe ont elles-mêmes voulu abolir la frontière entre luxe et mainstream. Au printemps 2017, Balenciaga s’était assuré un buzz douteux autour du lancement de son sac cabas Carrie Shopper L. Entre sa forme et sa couleur bleue, impossible de ne pas faire le lien entre le cabas Balenciaga et le célèbre sac Frakta du géant Ikea. Une marque bien connue, mais aux antipodes de la culture luxe.
A l’époque, les similitudes entre les deux sacs avaient amusé Ikea. L’enseigne suédoise avait même joué le jeu avec une campagne de communication : « Comment identifier un sac Ikea Frakta authentique « . Si la campagne avait diverti les réseaux sociaux, elle mettait tout de même le doigt sur un vrai problème. Comment accepter d’aligner au même niveau un article alors vendu 80 centimes avec un sac de luxe affiché au prix de 1 694€ ?
Et le cabas Balenciaga est loin d’être un cas isolé. Depuis des années maintenant, les marques de luxe détournent les codes des objets populaires. Gucci avait même tourné en dérision la contrefaçon en proposant en 2017 une collection capsule au logo volontairement détourné : Guccy.
Comment renouer avec la dimension exclusive des marques de luxe ?
Si les maisons de luxe ont joué le jeu de la médiatisation, c’est qu’elles ont ressenti le besoin de rajeunir leur image de marque. Elles ont également dû adapter leurs codes esthétiques pour séduire de nouvelles générations de consommateurs, désormais habituées à mélanger les genres, entre ultra luxe et fast fashion. Mais cette perméabilité entre esthétique mainstream et design de luxe facilite aujourd’hui le détournement des articles des marques de luxe. Et le retour arrière est impossible.
Les innovations de la fashion tech en matière d’authentification ne seront sûrement pas suffisantes pour protéger les marques contre les ravages d’une contrefaçon qui affiche désormais ouvertement sa créativité. Alors, quelles sont les alternatives envisageables ?
En refusant de vendre en e-commerce l’intégralité de ces articles, la maison Chanel nage à contre-courant du luxe. Cette stratégie permet à la marque de renouer avec la dimension d’exclusivité du luxe en limitant volontairement son réseau de distribution sur le web. Mais toutes les maisons de luxe n’ont pas les moyens de sacrifier une partie de leur croissance financière pour attiser la désirabilité de leur marque. Et cette stratégie ne suffit pas à protéger Chanel contre les contrefaçons.
Pour se protéger plus efficacement, les maisons de luxe n’ont d’autre solution que de plaider pour des législations plus contraignantes en faveur de la propriété intellectuelle. Mais elles n’échapperont pas à une remise à plat de leurs stratégies esthétiques et commerciales. Car peut-on encore faire preuve de désinvolture avec son propre logo quand tant de produits de contrefaçons entament déjà son prestige ?