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Retour en deux volets sur la dernière Fashion Week cubaine, symbole du renouveau du secteur de la mode sur l’île.
Maria Karla
Herrera
En feuilletant les magazines parus à la fin du XIXème siècle à Cuba, chacun pourra constater que figurent, parmi les nombreuses publicités locales, des annonces de promotion des grands magasins parisiens, comme le Printemps ou le Bon Marché. La haute société havanaise a, en effet, longtemps suivi la création de mode en provenance de Paris, par le bais de ces publicités ou des marques françaises qui commençaient à s’installer dans le pays avec le nouveau siècle.
Cinquante ans plus tard, l’après Seconde Guerre mondiale a représenté une période de fort développement économique à Cuba, favorisant la croissance des classes moyennes au sein des grandes villes. De nombreuses publications périodiques étaient alors consacrées à la promotion de « l’American Way of Life » sous le soleil des tropiques, dans un pays qui n’avait pas souffert les déboires de la guerre. Avec la prise du pouvoir par Fidel Castro en 1959, la situation évolue sensiblement. D’inspiration marxiste, le nouveau paradigme politique et culturel mis en œuvre sur l’île élimine tout élément superflu et décoratif, notamment en ce qui concerne l’habillement.
Le départ d’une grande partie des élites cubaines, mais aussi des créateurs de mode, propriétaires de magazines, photographes et mannequins, accentue alors la chute de l’industrie de la mode à Cuba. A la fin des années 1960, une nouvelle esthétique vestimentaire est imposée par les Etats socialistes d’Europe de l’Est, sans tenir compte des caractéristiques culturelles des pays concernés. A Cuba, la prépondérance de produits importés et l’uniformisation vestimentaire ont ainsi contribué à la quasi-disparition de l’industrie textile du pays, concentrée désormais sur la seule production d’uniformes pour les écoliers et les militaires.
Avec l’ouverture de Cuba au monde occidental, après la chute du Mur de Berlin, les produits vestimentaires occidentaux recommencent à peupler l’imaginaire des Cubains. Ces produits s’avèrent cependant inaccessibles pour une large part de la population locale, qui se contente d’acheter la production artisanale faite en crochet ou avec des tissus de très mauvaise qualité. Au cours des années 1990, le gouvernement cubain développe une politique de soutien à l’artisanat local. Les quelques créateurs locaux qui confectionnaient des robes pour les mariages ou des sandales pour l’été profitent de cette opportunité pour montrer leurs créations dans le nouvel espace de présentation « La Maison de la Mode » – en français dans le texte.
Depuis cette époque, la mode s’est à nouveau emparée de l’imaginaire des Cubains. Les nouvelles générations suivent intensément les tendances internationales et demandent régulièrement à leurs amis et parents vivant à l’étranger de leur offrir les derniers numéros des magazines Vogue ou Harper’s Bazar.
Malgré ce climat propice au développement de la production de mode à Cuba, certains facteurs empêchent toujours le décollage du secteur. L’absence d’une industrie textile structurée et le contrôle très strict des importations par l’Etat limitent l’accès aux matières premières de qualité, nécessaires à la création. L’inexistence d’un cadre légal favorisant la création d’entreprises dans ce secteur constitue un empêchement majeur pour son développement. Par conséquent, la production locale reste très marginale et peu présente dans les réseaux de distribution du pays. Malgré ce contexte, les créateurs locaux se battent pour l’existence d’une production de mode cubaine. Le défilé croisière de Chanel, en 2016, a ainsi beaucoup inspiré les autorités locales, qui ont décidé de transformer la rencontre annuelle de créateurs de mode en Semaine de la Mode à la Havane, ou Havana Fashion Week.
L’inexistence d’un cadre légal favorisant la création d’entreprises dans ce secteur se battent pour l’existence d’une production de mode cubaine.
Entre le 20 et le 24 novembre 2018, les meilleurs créateurs locaux se sont ainsi réunis dans le quartier central du Védado, afin de présenter leurs collections pour l’année 2019. Cette Semaine de la mode, ouverte à tous types de public, a séduit plus de 3 000 visiteurs, qui ont assisté à quelque 44 défilés.
Dans un pays aussi atypique que Cuba, avec un système politique d’inspiration socialiste, la Semaine de la mode adopte nécessairement une coloration très différente des Fashion Week occidentales. Ainsi, contrairement aux Semaines de la mode de Paris, Londres, Milan ou New York, et même à celles organisées à Rio de Janeiro ou Buenos Aires, la Semaine de la mode à Cuba est un événement qui relève davantage de la politique culturelle que d’une stratégie commerciale à part entière. Elle est en effet, et avant tout, destinée à la population locale, davantage qu’à une élite de clientes internationales, de blogueuses ou d’influenceurs.
Sous le slogan « Artisanat et identité », cet événement cherche à positionner la mode comme un vecteur porteur de valeurs culturelles et identitaires. C’est la raison pour laquelle la Havana Fashion Week est ouverte à tous les publics et bénéficie d’une couverture médiatique très importante dans le pays. Cette médiatisation fait pleinement partie de la stratégie gouvernementale de démocratisation de la mode et de lutte contre la domination idéologique et culturelle des Etats-Unis, ce partenaire historique de Cuba, avec lequel le pays entretien une relation si particulière.