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Le secteur du luxe a fait preuve d’une grande résilience face à la crise sanitaire. Tandis que le rebond économique se fait sentir au niveau mondial, la joaillerie et l’horlogerie de luxe restent en retrait. Ces deux segments du luxe ont vécu une année 2020 difficile. Le cabinet d’analyse McKinsey vient de publier un rapport pour analyser leurs perspectives pour les cinq prochaines années.
La joaillerie et l’horlogerie de luxe sont d’importants rapporteurs d’affaires pour les marques de luxe. En 2019, le marché mondial de la haute joaillerie était estimé à 280 milliards de dollars. Michael Burke, le PDG de Louis Vuitton, confirme la tendance. « C’est le plus gros potentiel que nous avons actuellement. La haute joaillerie est une de nos catégories qui progressent le plus vite, peut-être même la plus forte. » Plus modeste, le marché des montres de luxe était estimé à 49 milliards de dollars. Les marques de luxe ne pourront pas se priver longtemps de ces deux leviers de business.
Où en sont la joaillerie et l’horlogerie de luxe au lendemain de la crise sanitaire ?
Le cabinet McKinsey vient de publier, courant juin, son étude pour 2021 à 2025 du marché mondial de la joaillerie et de l’horlogerie de luxe. Première constatation : ces deux segments du luxe ont été particulièrement impactés par la crise sanitaire. Sur l’année 2020, la joaillerie de luxe a perdu 15% de son chiffre d’affaires mondial. Et l’horlogerie a reculé de 30%. A l’instar de la mode, de la maroquinerie et de la cosmétique, la joaillerie et l’horlogerie de luxe ont souffert de la fermeture des points de vente physiques.
Mais dans leur cas, le report des ventes sur le web a été très faible. En cause ? La joaillerie et l’horlogerie ont amorcé tardivement leur virage e-commerce. McKinsey observe que les ventes en ligne ne représentent que 13% du chiffre d’affaires mondial de la joaillerie. C’est pire pour l’horlogerie : à peine 5%. C’est bien moins que dans les autres catégories du luxe.
L’autre point noir reste la forte dépendance envers le tourisme de luxe. Avant la crise sanitaire, 30% en moyenne des achats de bijoux et de montres de luxe étaient réalisés par des clients en voyage. Or, comme le note l’étude McKinsey, le tourisme de luxe ne devrait pas retrouver son flux de voyageurs normal avant 2024.
Transition digitale : comment les marchés vont évoluer d’ici 2025
D’ici 2025, la joaillerie et l’horlogerie doivent combler leur retard en matière de e-commerce. Le levier digital a largement démontré ses forces pendant la crise sanitaire. Le e-commerce a su se faire une place dans le monde de la mode de luxe, traditionnellement réfractaire à la vente en ligne. Il devrait en être de même pour la joaillerie. Rahul Kadakia, responsable de la joaillerie chez Christie’s, souligne le potentiel du e-commerce pour ce segment du luxe. D’après lui : « La vente en ligne nous a permis d’élargir les catégories d’âges, les zones géographiques, et d’attirer des consommateurs qui ne seraient pas venus vers Christie’s auparavant. »
Sur le marché de l’horlogerie, la transition digitale devrait être plus rapide. Le marché de l’horlogerie de luxe a déjà commencé à se restructurer pour intégrer de nouveaux acteurs, notamment avec des pure players dédiés à l’horlogerie (y compris l’horlogerie de seconde main). Le marché des montres de luxe vit également une transition digitale au niveau de son offre produits. Les marques de luxe sont de plus en plus nombreuses à se positionner sur le marché des montres connectées. Cette orientation doit séduire les jeunes générations d’acheteurs. Elle se double d’une meilleure visibilité sur le web pour capter ces nouveaux clients.
Le marché asiatique, toujours aussi incontournable pour le luxe
Sans réelle surprise, le rebond de la joaillerie et de l’horlogerie de luxe passera par une meilleure implantation internationale. Trop dépendants de la clientèle touristique, les deux secteurs doivent tirer les enseignements d’un réseau retail trop concentré en Occident. Le rapport McKinsey rappelle que c’est en Asie que se joue l’avenir du marché mondial du luxe. L’Asie pèse déjà 45% du chiffre d’affaires mondial pour les bijoux de luxe, et 50% pour les montres de luxe.
McKinsey estime que le marché devrait encore croître d’ici à 2025. Les experts s’attendent à +12% par an pour la joaillerie, et +4% par an pour les ventes de montres. La croissance sera portée par deux éléments. Le développement de zones de duty free en Chine sera un levier crucial. Et une demande plus forte des jeunes générations de consommateurs boostera le marché.
Plus de RSE dans la haute joaillerie
D’ici 2025, McKinsey estime que le marché mondial de la haute joaillerie progressera de 10%. La plus grosse opportunité business viendra d’une production plus responsable. L’étude souligne que les achats de joaillerie durable devraient tripler d’ici 2025.
Le constat trouve un écho chez Bulgari. Lelio Gavazza, responsable des ventes, confirme la tendance. « Les jeunes consommateurs se soucient vraiment de la responsabilité sociétale des entreprises. » Les consommateurs de luxe, très sensibles à cet argument, pourraient ainsi changer la donne en privilégiant de nouveaux acteurs engagés au détriment des acteurs historiques du marché.
Montres de luxe : les game changers à surveiller
Post crise sanitaire, plusieurs changements en profondeur vont aussi se faire sentir sur le marché des montres de luxe. McKinsey prédit une progression plus lente pour ce segment du luxe : seulement +3% de chiffre d’affaires par an en plus d’ici à 2025. Les marques de luxe devront être attentives à un changement de comportement des acheteurs. Ces derniers sont désormais plus disposés à acheter directement auprès des marques, notamment via le e-commerce, plutôt que de passer par les distributeurs tiers. Environ 2,4 milliards de dollars devraient ainsi migrer des distributeurs aux marques à mesure que les consommateurs se rapprochent des marques.
Selon Thomas Baillod, le co-fondateur de Watch Distributors Directory, les marques de luxe doivent se préparer à cette révolution. « Le Direct To Customer sera un challenge pour beaucoup d’entreprises. Elles ne sont pas des acteurs du retail et, peut-être plus important encore, elles n’ont pas la tradition de la vente en direct, donc elles auront besoin de compétences très différentes pour gérer ces nouvelles relations. »
En parallèle, le marché des montres de luxe de seconde main sera la vraie locomotive du rebond économique sur ce segment. Ce marché devrait atteindre entre 29 et 32 milliards de dollars d’ici 2025 d’après les prévisions de McKinsey. Une opportunité qui ne sera pas sans danger pour les marques de luxe. Ces dernières sont encore trop faiblement positionnées sur ce marché émergent, largement dominé par des pure players. Pourtant, comme le souligne Michele Sofisti, l’ancien PDG de la marque Girard-Perregaux, les marques d’horlogerie de luxe ont une légitimité toute trouvée sur le sujet. « Le marché a un gros potentiel. Si les marques avec une histoire riche tirent parti de la seconde main pour se concentrer sur l’héritage de leur marque, cela peut donner un marché intéressant. »