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Ses rayures horizontales sur fond blanc s’affichent indifféremment sur toutes les plages, les trottoirs et les podiums. Un ancien ministre du redressement productif en a fait un étendard de l’excellence nationale. Plus qu’un indispensable de la garde-robe estivale, la marinière est devenue le symbole d’une élégance décontractée à la française. Retour sur l’histoire d’un vêtement iconique.
La marinière possède une date de naissance on ne peut plus officielle, sanctionnée par le Bulletin des armées : le 27 mars 1858, jour où elle devient l’uniforme des matelots. Son tissage est alors aussi strict que la discipline qui règne à bord des navires de la Marine nationale : 21 rayures blanches larges de 20 millimètres et autant de rayures bleues larges de 10 millimètres. Pourquoi ce choix ? Parce qu’il permet de repérer plus facilement un marin tombé à l’eau. Une sorte de gilet jaune aquatique qui connaîtra un destin autrement glamour.
Car ce vêtement né pour sillonner les mers du globe aura inspiré bien des créateurs. C’est Coco Chanel qui, la première, autour de 1916, a l’idée de l’introduire dans le monde de la mode, en la féminisant pour l’occasion. Succès immédiat auprès de ses riches clientes abonnées aux stations de Normandie et du Pays basque. La marinière devient alors le marqueur d’une certaine bourgeoisie adepte de plaisirs balnéaires, qui la porte volontiers avec des chaussures bateau et un pantalon en toile. L’uniforme n’est jamais très loin.
Charme canaille
Après Chanel, Yves Saint-Laurent succombe à son tour au charme canaille de la marinière pour un millésime 1966 dédié à l’univers marin. Sonia Rykiel et Karl Lagerfeld suivront, mais c’est Jean-Paul Gaultier qui en fait sa marque de fabrique en y injectant, dès 1983 et sa première collection pour homme Toy Boy, la dose d’érotisme gay qui transpire des oeuvres de Genet et Fassbinder. Un an plus tard, Etienne Daho pose en tricot rayé, perruche sur l’épaule et lippe luisante sous l’objectif de Pierre et Gilles pour la pochette de l’album La notte, la notte.
A cette époque, la marinière n’est déjà plus le marqueur social qu’elle fut au début du 20e siècle. Elle est devenue un vêtement populaire, simple, facile à porter en toutes circonstances. Quelques stars ont contribué à son émergence dans le vestiaire urbain. Sting, Brigitte Bardot, Picasso, le mime Marceau, Charlotte Gainsbourg et bien d’autres ont signé quelques-unes de leurs apparitions les plus iconiques vêtus du fameux tricot. En 2011, le choix par Nike, l’équipementier de l’équipe de France de football, d’en faire le maillot des Bleus à l’extérieur marque une forme de consécration grand public – même si l’expérience, pas vraiment du goût des fans, sera de courte durée.
A présent que tout le monde plébiscite la marinière, l’originalité se joue surtout dans le choix d’une déclinaison adaptée à son lifestyle. Il y a bien sûr les versions imaginées par les créateurs, qui continuent d’y trouver une source d’inspiration, comme récemment Jonathan Anderson pour Loewe et Augustin Dol-Maillot pour Barrie. Les marques spécialisées dans le vêtement marin, telles Armor Lux, Saint James, Royal Mer et Le Minor, en ont fait un produit prisé par les touristes. Les puristes se tourneront vers la marque Orcival, fournisseur officiel de l’authentique marinière en jersey Rachel depuis 1939 et qui a eu droit récemment aux honneurs du MoMa dans le cadre d’une exposition interrogeant les rapports entre mode et modernité. Et pour conclure sur une note un peu moins cocardière, avouons que les étrangers s’en sortent aussi très bien pour exploiter ce filon national, comme en témoignent les modèles légers et printaniers de la marque norvégienne Helly Hansen.