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EMA
Sorbonne Université
Claudine Ivari est une styliste de mode qui a fondé sa propre maison de haute couture dédiée exclusivement aux femmes. Basée à Londres, elle confectionne des robes sur mesure pour une clientèle internationale. Elle a accepté d’ouvrir ses portes à Alexandros Antonopoulos Aflatoun Kamyabi et Domitilla Massouda pour partager avec eux son univers.
« Je suis dans la mode depuis toujours. Je suis passionnée par la création. »
Les Carnets du Luxe : Chère Claudine, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs qui souhaiteraient vous connaître ?
Claudine Ivari : Franco-iranienne, je suis née à Paris de parents iraniens. J’ai grandi entre l’Europe, les États-Unis et l’Arabie saoudite. J’ai fait des études en histoire de l’art et de design à l’Université américaine de Paris. Très jeune, je savais exactement ce que je voulais faire. À l’âge de 13 ans, à la suite de la visite d’un atelier de couture en Arabie saoudite, j’ai dessiné ma première robe.
Après mes études, j’ai créé ma maison de couture à Paris, en 2009, pour créer ma propre ligne de vêtements pour les défilés haute couture, pour proposer des robes sur mesure et de prêt-à-porter. Pendant le COVID, j’ai transféré ma maison de couture de Paris vers Londres et j’ai décidé de recentrer son activité sur la création de vêtements sur mesure.
LCDL : Est-ce que votre formation en histoire de l’art a été un apport dans l’exercice de votre métier ?
Claudine Ivari : Certainement, je pense que, de toute façon, tout ce qui est éducatif et ce dans n’importe quel domaine, apporte quelque chose. Dans la mode, tous les jours, nous essayons d’innover, que ce soit au niveau d’une coupe, de la matière ou encore de l’expression.
L’innovation, c’est de parvenir à créer quelque chose en faisant s’interpénétrer deux domaines, deux milieux, deux univers complètement différents.
LCDL : Pour quelle raison la maison Claudine Ivari fait-t-elle uniquement des vêtements pour femme ?
Claudine Ivari : La maison crée des vêtements exclusivement pour les femmes étant donné qu’elle est spécialisée dans ce domaine. Cela étant, nous sommes fréquemment sollicités pour faire des vêtements pour homme. Nous n’avons accepté de le faire, à titre exceptionnel, qu’une seule et unique fois. Nous préférons nous concentrer sur ce que nous savons faire de mieux à savoir des robes sur mesure pour femme.
LCDL : Quelles sont vos sources d’inspiration et vos influences ?
Claudine Ivari : Je suis influencée par des artistes et par des mouvements artistiques. Par exemple, une de mes collections a été inspirée par les impressionnistes.
Les voyages et les monuments sont aussi une source d’inspiration importante. Un exemple caractéristique est un voyage en Islande, plus précisément à Reykjavik où j’ai visité une église cathédrale qui m’a inspiré une de mes premières collections.
Il faut savoir que la position artiste-designer dans le sur-mesure est assez singulière puisque la cliente est une source d’inspiration. L’esprit de la personne qui portera les vêtements peut être une forme d’inspiration pour le designer. Parfois, ce dernier comprend, par l’observation du langage corporel, ce que la cliente veut dire ou veut avoir comme robe ; un geste peut suffire.
Même si, souvent, la cliente a quelque chose de précis en tête au départ, le résultat final de la création est le résultat d’un dialogue, d’une collaboration entre la personne qui portera les vêtements et le designer.
LCDL : Vous faites principalement du sur-mesure qui a comme caractéristique de s’adapter à la vision, à la volonté et au corps de la cliente. Qu’est-ce qui donne une unité à votre œuvre ? Qu’est-ce qui fait que l’on reconnaît une robe Claudine Ivari ?
Claudine Ivari : Je pense que c’est un style. Il y a un côté très structuré tout en étant fluide. J’adore mélanger les matières ; le travail textile c’est quelque chose pour lequel j’ai développé beaucoup de passion. C’est dans le détail. On peut faire ce qu’on veut avec le tissu : on peut le découper, en faire des bandes et puis le retricoter, le remonter, rajouter des broderies.
LCDL : Vous travaillez beaucoup avec les tissus. Utilisez-vous le cuir ?
Claudine Ivari : Oui, j’utilise des tissus, mais aussi le cuir. Le cuir est une matière que j’adore et que je travaille beaucoup aussi.
LCDL : Y a-t-il quelque chose en particulier qui est caractéristique dans vos robes ?
Claudine Ivari : Certainement, les motifs. Je pense que c’est la coupe. La coupe et la structure, sans le vouloir, je crois que c’est aussi naturel. Il existe un fil conducteur dans toutes les collections.
La coupe, c’est du moulage sur un maintien. Et puis c’est le côté structuré tout en étant assez épuré.
LCDL : Est-ce qu’une autre styliste pourrait reproduire une de vos robes ?
Claudine Ivari : Reproduire, oui. Après, chacun sa création. Un tableau de Yves Klein, même moi, je peux le faire. Je crois que tout le monde peut le faire. Toutefois, toute la différence réside dans l’idée, dans la création. C’est pourquoi Yves Klein est Yves Klein.
LCDL : Certains créateurs archivent pour transmettre et laisser une trace. Faites-vous partie de ceux-là ?
Claudine Ivari : Je ne garde pas religieusement de trace et je le regrette. Il y a même beaucoup de choses que j’ai jetées.
LCDL : Vous arrive-t-il de retourner voir vos dessins ?
Claudine Ivari : C’est très amusant parce que j’ai deux énormes portfolios de dessins que je n’avais pas ouverts depuis très longtemps. Et, un jour, un ami m’a dit « va regarder tes trucs ». J’ai ouvert et j’ai été très émue. Je me suis rappelé les avoir dessinés, mais ces dessins m’étaient complètement sortis de l’esprit. J’ai donc passé deux heures à les feuilleter, à les redécouvrir.
LCDL : Revenons à votre maison de couture. Nous avons pu voir sur internet que vous faisiez des défilés de haute couture.
Claudine Ivari : Je ne fais plus de défilés. J’en faisais beaucoup. J’avais un bureau de presse qui était intégré dans ma structure.
LCDL : Pourquoi aviez-vous recours à un bureau de presse interne ?
Claudine Ivari : C’est plus simple. Nous avions un bureau de presse au début mais j’étais un peu frustrée. En fait, je n’arrivais pas à trouver un bureau de presse qui pouvait me représenter correctement, comme je le voulais.
De ce fait, nous avons tout fait en interne, c’était très bien. Nous avons eu des retombées très satisfaisantes dans la presse, notamment avec une couverture significative dans des magazines mais aussi dans des films, des vidéos de musique, etc.
Aujourd’hui, nos activités de communication et de promotion sont plus ciblées parce que la maison a su, au fil du temps, constituer une base de clients très fidèles.
LCDL : Comment la maison trouve-t-elle de nouveaux clients ?
Claudine Ivari : Grâce à nos clientes qui parlent de nous. Par ailleurs, nous organisons des évènements qui permettent de réunir nos clientes dans un cadre intimiste et de leur présenter de nouvelles créations et innovations.
Il s’agit de se retrouver ensemble dans un univers singulier avec une musique, des lumières qui subliment les émotions. Dès 2009, j’insistais sur le fait qu’il fallait plutôt faire des expériences immersives que des défilés classiques.
LCDL : Pourquoi avoir arrêté les défilés, les Fashion weeks ?
Claudine Ivari : Les défilés coûtent très cher et après quelque temps je n’ai plus vu l’intérêt de continuer. Je l’ai fait pendant six ans au rythme de quatre collections par an. J’étais dans le calendrier officiel à Paris, j’ai également fait des défilés à l’international, notamment en Russie, en Biélorussie, aux États-Unis, en Croatie.
Cela reste une expérience assez exceptionnelle. Simplement, il me semble que l’investissement qui est fait dans un défilé peut être mieux investi ailleurs.
Aujourd’hui, surtout après le confinement, les gens sont beaucoup plus ouverts à de nouvelles formes d’expression. Ils se disent qu’il existe peut-être autre chose qu’un défilé.
Par ailleurs, j’espère que cette tradition des saisons des défilés disparaîtra car l’intérêt est purement commercial. À l’époque, il fallait avoir six collections par an. Une des seules personnes qui n’en faisait qu’à sa tête, et que j’adore, c’était Azzedine Alaïa. Il présentait sa collection quand elle était prête et non pas en fonction de la Fashion Week.
LCDL : Justement, est-ce que vous avez travaillé dans d’autres maisons ?
Claudine Ivari : Oui, j’ai fait beaucoup de stages et j’ai collaboré avec d’autres maisons.
LCDL : Vous voyagez certainement beaucoup pour le métier. C’est sans doute pour rencontrer des clients. Dans quel pays voyagez-vous le plus ?
Claudine Ivari : Je vais beaucoup au Moyen-Orient parce que j’ai une belle base de clientèle là-bas. Et chaque fois que je voyage, je recherche des influences et garde les yeux ouverts. Donc, c’est Londres, le Moyen-Orient et les USA ; après, il y en a un peu partout. Il faut dire que nombre de nos clients passent régulièrement par Londres ou se déplacent pour venir à notre rencontre dans notre atelier de Londres.
C’est l’intérêt de Londres. C’est une ville très cosmopolite.
LCDL : Nous allons maintenant faire un peu de gossiping. Qui aimeriez-vous habiller ? Ça pourrait être une célébrité, ça pourrait être une femme politique.
Claudine Ivari : Je vais être très honnête. J’ai la chance d’avoir quatre sœurs incroyables qui étaient aussi mes mannequins sur mes défilés. Mon plus grand plaisir, c’est de les habiller. Oui, mes sœurs, et je les habille déjà. Je suis comblée.
LCDL : Avec qui aimeriez-vous collaborer ?
Claudine Ivari : Azzedine Alaïa. Pour moi, c’est un des plus grands créateurs. Il met vraiment le corps de la femme en valeur. Il embellit la femme. Il est très structuré, avec beaucoup de caractère. Malheureusement, il est parti trop tôt.
LCDL : Il y a un mot qui revient beaucoup dans l’entretien, c’est « structure ».
Claudine Ivari : Oui, j’aime ce qui est structuré, je présume.
LCDL : Quelle est la place de l’écologie dans votre travail et vos pratiques ?
Claudine Ivari : J’ai une conscience écologique. Je comprends pourquoi la production de masse existe toujours aujourd’hui mais je n’ai pas envie de rentrer dans cet univers. Il y a un juste prix à payer pour toute chose. Aujourd’hui, l’univers de la mode est un des plus gros pollueurs. À ma petite échelle, j’essaie de faire quelque chose de très eco-conscious.
LCDL : Quelles sont les prochaines étapes pour le business, pour vous, pour votre création ?
Aujourd’hui, je souhaite créer un espace éphémère à Londres pour les artistes d’art contemporain : sculpteurs de verre, peintres, musiciens, poètes… L’idée est de produire une expérience immersive à travers la rencontre des différentes formes d’art. C’est un projet que j’espère mettre en œuvre prochainement.
Légende image d’ouverture: Portrait de Claudine Ivari © Claudine Ivari 2024