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Depuis l’Égypte ancienne, les bijoux ont magnifié les corps. Progressivement, ils revêtent une fonction sémantique et révèlent celui qui les porte. La représentation du bijou dans la peinture a profité d’une évolution majeure : la mise au point de la peinture à l’huile. Cette innovation technique venue du Nord, permettait un rendu plus réaliste et illusionniste des matières et ainsi de l’éclat des pierres.
Louise
Lozier
Par sa fragilité et sa préciosité, la joaillerie est un artisanat éphémère : cassés, transformés ou fondus, rares sont les témoignages des bijoux les plus anciens. C’est ici qu’interviennent les peintres, qui par leurs portraits, immortalisent les créations joaillières de leur temps. Les bijoux, riches de symboles, deviennent des témoins de leur époque. Enfin, ils sont investis d’un rôle social, emblèmes du pouvoir et du luxe.
Symboliques et signification
De nombreuses vertus sont attribuées aux pierres. En effet, dès le Ier siècle avant J.-C., un lien est tissé entre les gemmes et les planètes : dans Naturalis Historia, Pline l’Ancien relate le pouvoir curatif des pierres et leurs vertus magiques. Cette philosophie influence jusqu’aux artisans de la Renaissance.
L’or devient alors l’apanage des dieux et des puissants, le diamant représente l’amour éternel, l’émeraude est synonyme de fécondité, le rubis d’amour, et le saphir de valeurs célestes.
Représenter un bijou dans un tableau, c’est dévoiler les vertus du modèle : dans Portrait de femme de Piero del Pollaiolo, les perles du pendentif traduisent la pureté et le rubis la générosité. En effet, les gemmes marines sont synonymes de perfection naturelle par leur blancheur et leur sphéricité. Enfin, les pierres sont également mises à profit dans la doctrine chrétienne : le corail a longtemps été associé au sacrifice expiatoire du Christ lorsqu’il était placé autour du cou de l’enfant Jésus, comme dans la Madone de Senigallia de Pierro della Francesca.
Des témoins des modes
Les bijoux sont également représentés pour eux-mêmes, afin de magnifier les modèles. Les tableaux nous apportent aujourd’hui un reflet des goûts et de l’évolution de la joaillerie.
Les tendances du XIVe siècle sont illustrées dans Un orfèvre dans son atelier de Petrus Christus où les rangées de bagues témoignent des dessins favoris d’alors. Principalement en cabochon, les pierres évoluent à la fin du Moyen-Age avec l’apparition de la taille octaédrique comme le démontre le Portrait de Madame de Canaples par Jean Clouet.
Au XVe siècle, les matières exotiques sont particulièrement courues dans les pays du Nord. La Renaissance fait la part belle à l’émail et à la perle, très prisée par les Vénitiennes et Florentines qui parent leur chevelure de rangs de perles comme l’illustre le portrait de Simonetta Vespucci par Piero di Cosimo.
Au XVIIe siècle se développent les enseignes, joyaux pour chapeaux, dont Cellini rapporte qu’il est « à la mode chez les gentilhommes d’épingler de petits médaillons portant la devise de leur choix sur le bord retourné de leur chapeau. » La mode du XVIIe siècle nous est rapportée par un tableau de Brueghel et Rubens par les bijoux dépeints sur l’entablement : l’esthétique est à la simplicité. La perle occupe ainsi une place de choix. Le siècle suivant est marqué par la recherche de délicatesse et d’asymétrie avec une iconographie de fleurs, rubans et nœuds. Lors du règne de Louis XVI, le néoclassicisme fait son retour par les motifs géométriques, trophées et lauriers.
Au XIXe siècle, les portraits de l’aristocratie révèlent le nouvel engouement pour les perles. Le port du bijou se généralise et permet à la bourgeoisie de prouver sa nouvelle richesse. Ce siècle marque également l’arrivée du romantisme, puis du style troubadour : l’éclectisme définit la production joaillière.
Enfin, les tableaux nous éclairent sur la manière dont les bijoux étaient portés et les usages aujourd’hui disparus : nous découvrons ainsi les pendentifs de manche dans le Portrait de Christine de Lorraine par Scipione Pulzone ou encore les pendentifs de dos dans Branle à la cour de Henri III. Les bijoux sont autant portés par les femmes que par les hommes mais très peu de témoignages nous sont parvenus pour ces derniers, à l’exception du Portrait de van Miereveldt par George Villiers.
Objets sociaux et de pouvoir
Bagues, colliers, et diadèmes sont utilisés à des fins politiques. La richesse des empires s’exprime dans les portraits officiels : le royaume d’Espagne fait étalage des joyaux nouvellement rapportés d’Amérique du Sud dans le Portrait de l’infante Clara Eugenia avec Magadalena Ruiz.
Parer les grands de ce monde de leurs plus beaux atours, c’est surpasser leur caractère mortel et les imposer comme les représentants du pouvoir. C’est ainsi pour affirmer leur puissance que les souverains mènent une bataille par l’image : les peintures exhibent leurs acquisitions les plus précieuses. Enfin, les camées, magnifiant l’art de la sculpture, sont une marque de pouvoir et de richesse culturelle car seuls les plus aisés pouvaient s’en procurer.
Des portraits du Fayoum à ceux d’Ingres, les bijoux n’ont cessé de sublimer les modèles et témoigner de la dignité de leur propriétaire. Reflets des modes, des conquêtes et des innovations techniques, les bijoux n’étaient néanmoins pas dévolus à l’exercice du portrait. Ils s’exprimaient également au sein des natures mortes où ils deviennent de véritables vanités : ils y symbolisent les richesses qu’il est vain de posséder. Certains en ont même fait leur signature : dans Nature morte au gobelet d’or, Peter de Ring remplace sa signature traditionnelle par la représentation d’une bague en référence à son nom de famille.
Illustration: Andrea Solario (1465–1524), Salomé avec la tête de Saint Jean-Baptiste, vers 1507–1509, huile sur panneau, 57.2 x 47 cm, Metropolitan Museum of Art, New York (inventaire n° 32.100.81)