|
|
Voie d’accès privilégiée aux portes de l’Asie, l’Orient-Express évoque un temps où le voyage comptait autant que la destination. Un train pas comme les autres qui continue de faire rêver.
C’est à la suite d’un voyage aux Etats-Unis que l’ingénieur belge Georges Nagelmackers a l’idée d’offrir à une clientèle fortunée les moyens de parcourir l’Europe dans des conditions de confort inégalées, en embarquant dans de véritables hôtels roulants. En 1883, le premier Orient-Express s’élance depuis Paris. Il lui faut quatre jours pour rallier la capitale ottomane, là où la liaison maritime depuis Marseille prend deux semaines.
A la suite de ce premier voyage, la Compagnie des wagons-lits met en place un réseau ferroviaire qui relie les capitales européennes et transporte des milliers de passagers jusqu’aux portes de l’Orient. La ligne connaît son âge d’or dans l’entre-deux-guerres. A l’époque, il est même possible de prolonger le trajet jusqu’au Caire.
Et puis, la ligne perd de son attrait. En cause, les innombrables arrêts et contrôles douaniers dans une Europe divisée par le Rideau de Fer. Puis le développement de l’aviation civile lui porte un coup fatal. En 1977, après une ultime tentative de relance, l’Orient-Express effectue son dernier voyage sous son appellation officielle – ironiquement, l’année où le groupe Kraftwerk sort son Trans Europe Express, ode mécanique aux longues traversées ferroviaires.
Un écrin de glamour et de mystère
Moins de cent ans auront suffi pour que cette ligne mythique imprime sa marque dans l’imaginaire de ses contemporains. On parle d’une époque où l’Orient exerçait sur les consciences européennes un magnétisme non dénué de fantasmes. Une époque caractérisée par un certain art de vivre, où les voyageurs tuaient le temps dans des wagons au charme boisé.
Ce train acquiert son halo de légende grâce à ses prestigieux passagers. Faire la liste de celles et ceux qui sont montés à son bord, c’est égrener le who’s who de la première moitié du XXe siècle : Dietrich, Gabin, Chanel, Cocteau, Diaghilev… Dans l’imaginaire des anonymes qui s’installaient dans ses cabines, prendre l’Orient-Express, c’était voyager avec les stars. Une invitation au rêve.
Il revenait à une romancière anglaise de faire entrer l’express dans l’histoire de la littérature. En 1928, Agatha Christie grimpe à son tour à bord du fameux train. Six ans plus tard, elle en tire un de ses romans les plus célèbres : Le Crime de l’Orient-Express. Une histoire de princesses, d’espions et de commerçants aux visées troubles qui met Hercule Poirot aux prises avec la plus invraisemblable des machinations. Preuve que cette enquête et son prestigieux écrin continuent d’exercer leur fascination : un énième remake est sorti l’an passé au cinéma, dans lequel Kenneth Branagh embarque à sa suite une flopée de stars hollywoodiennes.
Un parfum persistant de légende
Si la ligne d’origine a cessé s’exister il y a quarante ans, on ne compte plus les tentatives pour la faire revivre. Il reste possible, aujourd’hui encore, de suivre le trajet mythique de Paris jusqu’à Vienne, plus rarement jusqu’à Istanbul, en empruntant diverses correspondances. De prestigieux voyages du souvenir sont régulièrement organisés à destination de fervents « ferrivophiles », conduisant jusqu’en Turquie les nostalgiques de celui qui fut surnommé « le roi des trains, le train de rois ».
L’Orient-Express est désormais une affaire de reliques. Les wagons d’origine ont été dispersés dans des ventes aux enchères, au bonheur des collectionneurs. Des chasseurs de trains se sont mis en tête de traquer ces vestiges de la grande époque. Récemment, un ingénieur diligenté par la SNCF a joué les Indiana Jones pour retrouver des wagons d’origine au fin fond de la Pologne.
Si la SNCF accorde une telle importance à la question, c’est parce que l’Orient-Express est aussi une affaire de marketing, et un nom sur lequel capitaliser. Après avoir racheté et exposé plusieurs voitures restaurées, la compagnie ferroviaire compte lancer, en partenariat avec Accor, une ligne de produits et d’expériences allant de l’hôtellerie aux accessoires vintage. De là à imaginer une réouverture prochaine de la ligne renouant avec son lustre d’antan… La SNCF reste prudente sur la question, soupesant sans doute les enjeux économiques d’une telle initiative.
En attendant, on peut toujours rêver.