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Pour le XVIIIe acte du mouvement des Gilets jaunes, les Champs-Elysées ont de nouveau été la cible de destructions en série. Parmi les lieux visés, les boutiques de luxe émaillant la plus belle avenue du monde, devenue depuis quatre mois le théâtre privilégié d’un conflit inédit par sa durée et ses modalités d’action. Pourquoi un tel acharnement ?
Vitrines brisées. Pillages. Débuts d’incendie. Les images capturées samedi après le passage des émeutiers ont à nouveau suscité effroi et incompréhension. Soixante magasins ont fait l’objet de dégradations qui viennent s’ajouter à celles subies depuis quatre mois.
Parmi les enseignes visées par les casseurs, certains grands noms du luxe : Longchamp, le parfumeur Arabian Oud, Lacoste, Bulgari, dont la vitrine métallique a été attaquée à la disqueuse. En novembre dernier, c’est la boutique Dior qui était dévalisée pour un préjudice évalué à un million d’euros.
Des destructions qui inquiètent les acteurs du luxe : y a-t-il une volonté systématique de s’en prendre au secteur ? Quel est le poids du symbole ? Qu’est-ce qui ressort du « simple » pillage ? Difficile, face à un mouvement aux contours flous, dont les protagonistes obéissent à des logiques variées, de tirer des conclusions définitives.
On peut supposer que la répétition de ces scènes de violence tient d’abord au choix originel des Champs-Elysées comme point de ralliement des Gilets jaunes à Paris.
Un lieu mondialement célèbre devenu symbole d’inégalités
Les Champs-Elysées restent dans l’imaginaire français un lieu propice aux manifestations, qui tend à se substituer aux trajets République-Bastille-Nation. Signes d’une époque où les manifestations étaient plutôt l’apanage d’une gauche héritière du mouvement révolutionnaire ouvrier. Sur les Champs Elysées, au pied de l’Arc de Triomphe, on fête les victoires militaires et celles de l’équipe nationale de football. L’endroit a donc tout de suite fédéré les initiateurs d’un mouvement plutôt apolitique.
Par ailleurs, manifester dans le quartier des Champs élysées a un impact médiatique. Avec 100 millions de personnes qui les traversent chaque année, dont 30 millions de touristes, les Champs Elysées restent un marqueur fort de l’identité française à l’étranger. S’en prendre à cette avenue est s’assurer d’une couverture médiatique propre à susciter un effroi en mondovision, sans doute à même, dans l’esprit de certains leaders, de faire plier le gouvernement.
Entre outre, la dimension socio-économique n’est pas à négliger car la nature des « attractions » présentes sur les Champs n’est pas anodine. L’avenue aménagée sous Louis XIV est aujourd’hui l’objet d’une concentration inédite de showrooms automobiles, cabinets d’avocats, restaurants huppés et boutiques de luxe. Une vitrine de ce que la France peut offrir de plus raffiné aux plus fortunés, devenue pour certains le signe d’un accroissement intolérable des inégalités, à un moment où le sentiment de décrochage est plus prégnant que jamais. « S’attaquer aux Champs-Elysées, c’est s’attaquer aux riches », résumait Bruno Faure pour RFI.
Enfin, il y a les symboles avérés de détestation du pouvoir. Parmi les endroits saccagés ce samedi, il y a le Fouquet’s, restaurant dont le simple nom revêt une dimension particulière depuis que le Président Sarkozy y a fêté sa victoire de 2007 en compagnie de ses soutiens, soirée assimilée à une cabale de puissants par une partie de la population.
Une fronde anti-luxe ou un ras-le-bol social ?
Dans la débâcle générale, les casseurs n’ont pas visé uniquement les boutiques de luxe. En réalité, ce sont les boutiques qui étaient à leur portée qui ont subi des dégradations, comme par exemple les enseignes Celio, Foot Locker, Etam et Zara, sans oublier les kiosques à journaux, signe d’une stratégie systématique de pillage qui ne fait pas de discriminations entre les lieux visés.
Devant le tollé provoqué par les incidents de samedi, les autorités ont annoncé une série de mesures, l’une d’elles visant à fermer les Champs-Elysées aux prochaines manifestations. De quoi préserver la tranquillité de l’avenue pour les semaines à venir, à supposer que ces mesures s’avèrent efficaces. Mais pour les autres boutiques de la capitale ? Doit-on redouter demain de nouvelles exactions visant spécifiquement le monde du luxe ?
L’avenir dira peut-être si les destructions enregistrées au cours des derniers mois faisaient partie d’une stratégie systématique, sinon concertée, ou si les dégradations enregistrées tenaient au hasard du mouvement.