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Edouard Philippe a annoncé mardi 4 juin l’adoption prochaine d’une mesure visant à lutter contre le gaspillage, une disposition qui concernera notamment le secteur textile. Quelles conséquences pour l’industrie de la mode ?
La chasse au gaspillage est désormais devenue la norme. Après les invendus alimentaires, dont la destruction est désormais interdite au titre de la loi Garot de 2016, c’est au tour des invendus non alimentaires d’être dans le viseur du gouvernement. Electroménager, textile, produits d’hygiène et de beauté : une fois la future loi adoptée, les marques et distributeurs concernés devront trouver des alternatives à la destruction, sous peine d’être sanctionnés financièrement.
L’idée remonte au printemps 2018. L’interdiction de jeter les invendus pour les marques de vêtements constituait le quinzième point des propositions du Premier ministre pour stimuler l’économie circulaire. Un premier projet de loi plutôt succinct avait fuité en février dernier, ainsi que la volonté du gouvernement d’avancer par ordonnances. Le grand débat est passé par là, ainsi que les élections européennes, avec les bons résultats enregistrés par les formations écologistes.
C’est désormais une ambitieuse loi pour l’économie circulaire qui servira de véhicule à la mesure, loi qui sera présentée en conseil des ministres en juillet prochain par Brune Poirson. La secrétaire d’Etat à la Transition écologique l’a d’ores-et-déjà annoncé : « Produire pour détruire, c’est fini ».
Nécessité écologique et reportages choc
Avec la surproduction et l’obsolescence programmée, la destruction des invendus symbolise tous les excès d’une société parfois jugée trop consumériste, à plus forte raison quand elle concerne des produits au prix élevé.
En janvier dernier, un reportage de l’émission Capital suscitait l’indignation en révélant la destruction de milliers d’invendus par l’enseigne Amazon. En 2013 déjà, H&M se voyait accusé par la presse danoise d’avoir brûlé douze tonnes d’habillement.
L’affaire Burberry fut le point d’orgue. En juillet 2018, la presse britannique révélait que la marque procédait à la destruction systématique de ses invendus textiles et cosmétiques. L’équivalent de 20 000 trenchs d’une valeur de 28 millions de livres partis en fumée rien que pour l’année 2017. Burberry a promis depuis de renoncer à ces pratiques.
Selon les chiffres de Matignon, chaque année, environ 650 millions d’euros de produits non alimentaires neufs et invendus sont jetés ou détruits.
De nombreuses dispositions encore dans le flou
Le projet de loi présenté n’est que la première étape du processus. Pour l’heure, l’article 6 stipule que les «producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires sont tenus de réemployer, de réutiliser ou de recycler leurs invendus». Les lobbyistes peuvent s’inquiéter (ou au contraire se rassurer) en constatant, à l’image de Me Emile Meunier, que « le texte n’affirme pas noir sur blanc le principe d’interdiction de la destruction des produits invendus ».
On sait en revanche que le gouvernement a tenu à laisser du temps aux acteurs concernés pour se préparer aux conséquences de la future loi. Deux échéances ont été annoncées, selon qu’il existe ou non une filière de recyclage : fin 2021 pour les produits appartenant à la première catégorie, fin 2023 pour les autres. Concernant les sanctions encourues par les contrevenants, il va falloir attendre le débat au Parlement.
Dans cette perspective, des voix se font entendre pour dénoncer l’esprit ou les limites du texte. Les représentants de l’industrie textile expliquent qu’il existe déjà des circuits permettant d’écouler les invendus : par exemple les soldes ou les braderies. L’argument vaut moins pour les marques du luxe, qui exercent un contrôle tatillon sur la distribution de leurs produits. Tout est fait pour éviter que ceux-ci se retrouvent distribués dans des enseignes non homologuées.
Le gouvernement assure qu’aucun aménagement n’est prévu pour ce secteur. En attendant, l’industrie de la mode prépare ses arrières. La fédération de la haute couture et de la mode s’est dotée d’un groupe de travail qui planche sur le sujet. Peut-être sera-t-il évoqué, en août prochain, dans le Fashion pact, cette série d’engagements pour la préservation de la planète préparé par François-Henri Pinault à la demande du Président Macron.