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Orgie de couleurs, délicatesse des textures et romantisme assumé : nombre de collections prêt-à-porter présentées ce printemps témoignent d’une mode masculine de plus en plus marquée par l’effacement des frontières entre les genres.
Qui n’a jamais subi les quolibets, voire les insultes homophobes de ses camarades d’école un jour qu’il avait décidé d’arborer un pull du plus beau rose ? A l’avenir, une telle scène pourrait être reléguée dans les oubliettes de l’histoire, avec la dichotomie bleu-rose calquée sur une répartition rigide des identités sexuées et la sobriété masculine de rigueur. Car cette année, les maisons se sont plus que jamais affranchies des stéréotypes qui ont marqué l’histoire longue du vêtement.
Le brouillage des frontières avait déjà été annoncé par le nombre croissant de défilés mixtes, comme ce fut le cas cette année encore à Paris pour les marques Kenzo et AMI. Il se caractérise désormais par l’appropriation par le vestiaire masculin d’éléments ressortant de la garde-robe féminine. C’est vrai pour Dior, Vuitton, Hermès, Paul Smith. C’est vrai des matières, douces et légères, avec un recours au satin et à l’organza. C’est vrai des couleurs : toutes les nuances de rose, du pastel au bonbon, seront à l’honneur en 2020, à quoi il faut ajouter un usage immodéré de pastels et de coloris vifs, du vert menthe au jaune poussin, sans oublier une prédilection pour les motifs floraux. C’est vrai des formes, amples, fluides, en témoigne la présence de chemises chasubles dans plusieurs collections.
Une ère plus romantique pour la mode masculine
Pour Le Monde, Carine Bizet résume ainsi le changement d’époque qui s’est manifesté à la Fashion Week : « après le règne du sportswear et du duo sweatshirt-baskets , le style masculin se dirige vers une ère plus romantique , une forme de virilité moderne qui assume sa tendresse sans renoncer à sa force. » A l’image des mannequins choisis pour rendre grâce à ces nouvelles lignes. Loin d’afficher une silhouette androgyne, ils étaient cette année ouvertement sexués, tout en séduction douce, lorgnant même vers Gainsbourg et Pacadis, mélange que Les Echos résument par un « post-macho » parfaitement en phase avec l’ère post-metoo.
Si la tendance observée se confirme dans les années à venir, ce serait un signe que la mode masculine renoue avec une tradition perdue. Car il fut une époque où les hommes n’avaient pas peur de se laisser aller à une débauche de tissus et à l’exploration de toutes les gammes de coloris. Il suffit de remonter au 18e siècle et à la cour du Roi Soleil, comme à celle des souverains britanniques. Qui a vu récemment le film La Favorite et son défilé de lords emperruqués aura probablement noté ce goût masculin pour le flashy et le froufrou, dont on a longtemps trouvé la trace dans une certaine « excentricité » britannique. La révolution industrielle, sous l’influence de l’éthique protestante et de sa condamnation de toute forme de luxure, a tôt fait d’imposer une vision plus sobre de la mode masculine.
Une révolution tranquille
Depuis cette époque, les individualités qui osaient faire dans la finesse et explorer une palette plus large, dandys fin de siècle et rock star tendance glam à la Bowie, étaient montrées du doigt pour avoir osé briser le consensus social. Leur geste relevait souvent de l’affirmation de soi, là où la mode 2020 témoigne plutôt d’une révolution tranquille. Nulle volonté de choquer dans les créations présentées lors des récents défilés, mais une sensibilité assumée, sans provocation, significative d’une époque qui est en train d’acter la rupture avec les codes de virilité longtemps en vigueur.
Même si, parfois, le geste se veut ouvertement trans-genre. Ainsi de l’hommage rendu par la japonaise Rei Kawakubo, pour Comme des garçons, au personnage d’Orlando, créé par la romancière Virginia Woolf, personnage qui, dans le roman éponyme, traverse le temps en changeant de sexe. Une figure qui synthétise à merveille l’évolution esthétique début-de-siècle telle qu’elle vient de s’exprimer sur les podiums.