|
|
Devant la recrudescence de polémiques liées à des incompréhensions culturelles, certaines marques ont décidé de se faire accompagner par des spécialistes venus des sciences humaines.
Le pull était presque parfait. Un élégant passe-montagne noir Gucci hélas doté, au niveau du col, d’un espace ourlé de rouge évoquant le blackface, pratique raciste au coeur de nombreuses polémiques récentes. Tollé au sein de la communauté afro-américaine, appels au boycott et vidéos de 50 Cent brûlant un t-shirt Gucci devant ses milliers de fans Instagram. Devant l’ampleur de la polémique, la marque a dû retirer son pull de la vente et se fendre d’un mea culpa.
L’affaire rappelle celle du pyjama rayé avec étoile jaune commercialisé par Zara en dépit du bon sens. Ou cette publicité Nestlé dans laquelle apparaissait un costume d’ours qui évoquait cruellement Pedobear, emblème mis en avant par les internautes pour tourner en dérision les accusations récurrentes de pédophilie. Et tant d’autres scandales…
Les marques dans le radar de justiciers connectés
Internet a beau être le terreau de nouvelles pratiques sociales, un espace de connexion directe avec les consommateurs, cet environnement fertile a vite fait de se transformer en sables mouvants pour les marques.
On y trouve de nombreux social justice warriors, ces adeptes de Twitter à la gâchette facile. Des traqueurs de plagiat. Des groupes de pression ou des individus indignés prêts à faire tomber les accusations d’appropriation culturelle. Certains en ont fait leur ligne directrice sur Instagram, à l’instar de ces nouveaux « chiens de garde » nommés Diet Prada, Estée Laundry, The Fashion Law qui traquent le moindre faux pas, et qui sont à l’affût du moindre plagiat.
Face à des « fans » aussi déterminés, on aura beau arguer que l’erreur est humaine, le moindre dérapage peut laisser des traces. Dans ce contexte miné, mieux vaut tourner sept fois son pouce dans sa poche avant de tweeter. Ou se faire accompagner pour limiter les risques de bévue.
Les sciences humaines pour éviter les bad buzz
C’est le choix qu’ont fait un certain nombre de maisons de luxe en collaborant avec des experts en sciences humaines capables de les aider à décrypter des codes culturels mouvants. Les marquent montent des comités de « changemakers », des intellectuels, censés aiguiller les collaborateurs en matière de diversité, d’inclusion et de culture. Car les faux-pas peuvent arriver à tout moment.
Une enquête du Monde évoque le rôle de ces experts d’un genre nouveau. « Je pense que les intellectuels ont un rôle important à jouer pour aider les designers à sortir de leur bulle et à comprendre leur rôle dans un monde globalisé et interconnecté », confie Eric Avila, professeur à UCLA et spécialiste de l’histoire du blackface.
Au-delà de la volonté de se protéger contre les ennuis éventuels, le recours à des consultants venus du milieu intellectuel ne témoigne-t-il pas d’une peur plus profonde qui traverse le monde du luxe : celle de la déconnexion? Telle est l’intuition de Stéphane Hugon, sociologue et cocréateur du cabinet stratégique Erano. «Les marques de mode se sentent aujourd’hui très fragilisées. Elles craignent, et c’est totalement nouveau, de ne pas saisir les transformations culturelles en cours, de ne pas capter leur époque».
Et les sociologues, sémioticiens, anthropologues et autres experts des passions humaines de se réunir autour des créateurs, comme un comité occulte autour d’un souverain jadis omnipotent.
Au risque de brider leur inspiration ?