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Catherine
Vampouille
La carte de France des savoir-faire perdus
Il fut une époque où nous n’avions pas besoin d’importer de Chine des ressources que nous pouvions fabriquer ici. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder une carte de France datant de 1964 et recensant les industries de l’habillement : la Laine dans le Nord, le coton et le lin en Lorraine, la dentelle à Alençon, les chaussures en Bretagne, la confection de lingerie à Paris, la bonneterie à Troyes, les gants à Niort, les costumes à Bordeaux, la soie à Avignon, les chapeaux du côté de Toulouse, les espadrilles du côté de Perpignan …. Chaque région avait sa spécialité et participait activement à l’industrie de la mode, du textile et du luxe. Bon nombre de ces activités ont aujourd’hui disparu et avec elles, de nombreux savoir-faire. Ainsi, si l’on prend l’industrie de la chapellerie, dans les années 60, il y avait 49 entreprises de chapeau à Caussade dans la région de Montauban, aujourd’hui il n’y en a plus que deux. S’il est vrai que nous portons moins de chapeaux que nos aïeuls, cela donne malgré tout la mesure de l’hémorragie qui a touché notre pays et des pertes encourues. Aussi doit-on réfléchir aujourd’hui à comment réactiver ces savoir-faire afin de réindustrialiser notre pays.
La Covid : une crise révélatrice
La crise du Covid fut l’un des révélateurs de cette hémorragie. Face à l’urgence sanitaire, nos concitoyens ont pris conscience qu’il y avait un grand déficit industriel en France qui soudain ne pouvait plus se suffire à elle-même. Ainsi, le manque de masques s’est fait sentir cruellement et le gouvernement a fait appel aux quelques industriels du textile encore présents sur le territoire pour répondre à la demande d’un bien devenu un enjeu stratégique. C’est ainsi que nous avons mobilisé par exemple les machines de notre usine, habituellement utilisée pour produire des chapeaux, à cette fin, à tel point qu’il nous reste aujourd’hui plus de 30 000 masques en stock. Les Français ont pu par ailleurs profiter des tonnes de gel hydroalcoolique fabriquées, dans la panique, par les usines du groupe LVMH (Christian Dior, Guerlain et Givenchy) reconverties en usines de guerre à Saint-Jean de Braye, Chartres ou encore Beauvais, et suivies ensuite par celles de Pernod Ricard ou L’Oréal.
La principale leçon à tirer du risque de pénurie de biens stratégiques sur notre territoire est l’impératif de relocaliser certaines industries en France. Et il semble bien que ce soit désormais plus qu’une simple annonce gouvernementale : ainsi nous pouvons témoigner du fait que lors du salon professionnel Made In France de septembre 2020, de nombreuses marques sont venues nous voir avec une réelle volonté de rapatrier leur production en France. Une volonté que nous répercutons nous-mêmes au niveau de nos fournisseurs puisque nous essayons de sourcer nos matières premières le plus possible en France (laine et cuir du Tarn, coton des Vosges, tissus imprimés de Rhône-Alpes, thermocollants de Picardie, …).
Créer des emplois à Vendôme ou Caussade, c’est possible
Cela faisait des années que les industriels avaient le réflexe de délocaliser leur production. Il semble pourtant que cette période soit révolue. Et pour une bonne raison : on redécouvre les avantages de la production locale. Nous avons par exemple racheté en 2018 une fabrique de chapeau fondée en 1946 (les établissements Crambes), située à Caussade, une petite bourgade à vingt kilomètres de Montauban. Nous voyons par ailleurs arriver, depuis une dizaine d’années, de nombreuses jeunes startups qui se positionnent sur ce marché et qui connaissent un grand succès, comme le Slip français. Pendant que certains grands groupes continuent à s’implanter en région, si l’on pense à LVMH qui compte ouvrir une usine à Vendôme et créée 500 emplois pour ses produits de joaillerie.
Mais pour que ce mouvement prenne de l’ampleur à la fois au niveau des grands groupes et des petites PME, il faut rendre ses lettres noblesses au travail manuel, canaliser les talents, et les rémunérer à leur juste valeur. De nombreux citadins surdiplômés veulent réinvestir les métiers manuels qui ont du sens. Il faut donc remettre en avant les savoir-faire techniques et former davantage les jeunes aux métiers industriels via l’apprentissage. Par ailleurs, lorsque la main d’œuvre est formée et qualifiée, elle coute plus chère. Elle est plus experte, plus qualifiée, socialement mieux protégée. Mais c’est le prix d’une marque socialement plus responsable, et plus attractive.
Produire local pour réduire son empreinte carbone
A la suite du salon professionnel Made In France, et de l’intérêt des marques pour faire fabriquer leurs chapeaux en France, nous avons dû recruter pour faire face à la demande…. Qui aurait pu penser cela en pleine pandémie ? La création d’emplois en France dans nos régions est le sésame qui se trouvera forcément au rendez-vous des relocalisations.
Enfin, en plus de l’emploi et des avantages économiques, la production locale représente un atout considérable pour l’environnement. En effet, d’ici 2023, l’affichage du bilan carbone devrait apparaitre sur les biens manufacturés. Voici donc une dernière raison qui peut expliquer que les relocalisations ont tout l’avenir devant elles et que la carte de France des métiers de 2030 promet d’être riche est diversifiée.