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Alors que les comportements des consommateurs évoluent à grande vitesse, le luxe figure parmi les secteurs les plus concernés par l’essor des achats d’occasion.
Le luxe, en France, se porte mieux que jamais. Dans le sombre tableau du commerce extérieur, déficitaire à hauteur de 60 milliards, c’est l’un des rares secteurs à tirer son épingle du jeu avec l’industrie spatiale et l’aéronautique. Portés par la hausse des ventes de spiritueux, des parfums et cosmétiques, les produits français tiennent le haut du pavé à l’échelle mondiale.
Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes sans quelques signaux alarmants. Parmi eux, l’essor des achats de seconde main, qui préoccupe tout particulièrement les professionnels de la mode. Dans un article récent, Le Monde la qualifiait même de « grande traitresse de l’industrie de la mode ». Pourquoi une telle inquiétude ?
Un mode de consommation devenu courant
En 2009, 47 % des Français disaient acheter des produits d’occasion. « Dix ans plus tard, ils sont 60 % », indiquait au journal le directeur général adjoint de Sociovision, filiale du groupe IFOP. L’habillement est à la pointe du phénomène. Selon l’Institut français de la mode, la proportion d’acheteurs de vêtements de seconde main a doublé en dix ans pour s’établir à 31% des Français en 2018. Les achats effectués sur le Bon Coin témoignent d’un rythme de croissance annuel supérieur à 10%.
Le phénomène s’explique d’abord par un changement dans les comportements d’achat. Acheter un vêtement d’occasion, pratique longtemps vécue comme honteuse, est devenu un geste naturel à partir des années 90, et plus encore depuis la crise de 2008. « Défiance vis-à-vis des institutions, des entreprises, des prix trop élevés liés à une baisse perçue de qualité » : telles sont les explications données par la psychosociologue Danielle Rapoport pour expliquer ce changement dans les modes de consommation.
Il tient aussi à la hausse des transactions commerciales entre particuliers, grâce à des outils numériques dédiés. L’article du Monde cite ainsi le témoignage d’une Parisienne de 25 ans fière d’avoir déniché un jean APC à huit euros grâce à l’appli Vinted, « coqueluche des adeptes de la fripe sur smartphone ».
L’impact sur la bonne santé des enseignes est évident, avec une chute du marché français de la mode de 14% depuis 2007.
Une désintermédiation préjudiciable aux maisons
Le luxe n’échappe pas à cette tendance. Il est même le premier concerné. D’après Le Figaro, la revente de vêtements, sacs à main, chaussures de luxe connaît une croissance « quasi exponentielle ». Et le quotidien de citer une étude conduite par le site ThredUp, qui évalue le marché mondial du luxe d’occasion à 23 milliards en 2023, versus 7 milliards cette année. Dans quatre ans, il pourrait même représenter près de la moitié du marché estimé de la seconde main.
Sur ce créneau, les sites qui montent sont américains : ThredUp, The RealReal ou encore StockX, spécialisé dans les baskets de prix, les sacs et les montres. Mais c’est le français Vestiaire collective, créé en 2009, s’est imposé comme la référence. 40 000 articles y sont mis en ligne chaque semaine. L’ancienne start-up revendiquait en 2017 un chiffre d’affaires de 140 millions.
Pour Vestiaire collective, l’avenir est aux grands échanges transcontinentaux. 80% des actes d’achat ont lieu en Europe, mais le marché asiatique est en plein boom, avec une croissance de 140% au deuxième trimestre 2019. Les créateurs de la plateforme, qui s’apprête à débarquer au Japon, ne cachent pas leur stratégie : « faire vendre les sur-consommateurs de luxe d’Asie aux clients européens moins argentés. » Si l’on tient compte des coûts de transport liés à un tel mouvement de marchandises, on est loin d’un mode de consommation plus écologique, argument qui sert parfois à justifier l’achat d’occasion, un facteur à minorer toutefois face à l’argument du prix.
La seconde main est une tendance lourde avec laquelle va devoir composer le secteur. La désintermédiation qui a bouleversé tous les domaines de l’économie coupe désormais les maisons d’une partie de leur clientèle, en mettant revendeurs et acheteurs à quelques clics l’un de l’autre. Une perte en matière de chiffres d’affaires, mais aussi d’expérience, dimension qui semble moins importante pour ces consommateurs soucieux d’afficher des signes extérieurs de raffinement à un prix malin.