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La station balnéaire de luxe actuellement en chantier dans le nord-ouest de l’Arabie Saoudite sur les côtes de la Mer Rouge, va recevoir ses premiers visiteurs fin 2022 annonce la société saoudienne responsable du projet, The Red Sea Development Company (TRSDC), qui appartient au fonds souverain saoudien.
Resorts-archipels dans le lagon, escapades en montagne, nuitées dans le désert
Durant la première phase du Red Sea Project (2019-2022) seront édifiés 14 hôtels de luxe et ultra-luxe, un aéroport, des marinas pour yachts, et des infrastructures de base y compris un village pour accueillir le personnel travaillant sur le site.
Le projet vise une clientèle sélecte, comme à Dubaï, Oman ou aux Maldives. Un des anciens présidents de l’archipel-république siège d’ailleurs dans le board de la TRSDC.
A terme, la station balnéaire s’étalera sur 200 km entre les villes de Umluj et Al Wajh, dans un lagon et sa cinquantaine d’îles vierges, les montagnes et désert environnants. Avec ses 8 000 chambres et 1300 résidences privées, la station est conçue pour recevoir près d’un million de visiteurs par an dès 2030, tout en préservant la valeur écologique des îles, qui resteront « vierges » à 75%. Les responsables du projet affichent leurs fortes ambitions en matière de développement durable : neutralité carbone, zéro déchet, alimentation de la totalité du site par des énergies renouvelables, préservation des faune et flore locales.
Des contrats pour une valeur de 2,5 milliards de riyals (605 millions d’euros) auraient d’ores et déjà été conclus avec des opérateurs privés et jusqu’à 10 milliards de riyals (2,4 milliards d’euros) doivent encore être attribués d’ici fin 2020. Le design de l’aéroport international a ainsi été remporté par les Britanniques Fosters + Partners et la construction de la marina de 28km2 par le Grec Arcirodon International annonce la SPA, agence de presse saoudienne officielle. Engie et Acwa Power feraient partie des consortiums en lice pour le contrat de construction et exploitation des réseaux et aménagements de base.
Grands travaux
Ces annonces pourraient surprendre le lecteur distrait. Pèlerins, expatriés, hommes d’affaires et leurs visiteurs étaient (à peu de chose près) seuls admis en terre des Saoud.
C’était sans compter sur la politique volontariste de diversification économique (Vision 2030) voulue par le prince héritier Mohammed Ben Salman, en prévision de l’ère post-pétrole. Le jeune prince cherche à faire tripler la part du secteur touristique dans le PIB du royaume d’ici 2030, pour la porter à 10% et placer l’Arabie Saoudite parmi les dix premières destinations mondiales du tourisme de luxe et de l’écotourisme.
Le royaume a donc lancé en 2017 plusieurs gigachantiers en sus du Red Sea Project : NEOM, la ville connectée et ultramoderne située à proximité des frontières égyptienne et jordanienne dans le nord ouest du pays, projet à 500 milliards de dollars ; Qiddiya, ville consacrée au divertissement, au sport et aux industries culturelles, à 45 kms de Riyad ; et Al Ula, région vouée à devenir une destination de référence du tourisme culturel mondial, jadis traversée par les pistes caravanières d’encens et de myrrhe, puis sur la route du pèlerinage à la Mecque, aux paysages éblouissants de canyons, monts rocailleux, oasis et sable et aux vestiges préislamiques nabatéens inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Culture, tourisme et bon goût, porte-étendards de l’industrie française
La France veut imprimer sa marque à Al Ula, à laquelle l’Institut du Monde Arable consacre en ce moment une exposition faisant revivre le mythe de l’Arabie Heureuse en partenariat avec la Commission Royale pour Al-Ula, promotrice du projet. Les accords-cadres signés à Paris en avril 2018 par le Président Emmanuel Macron, le prince héritier et leurs ministres de la Culture prévoient que la France mobilisera les savoir-faire français (ainsi que le Louvre, le Musée Guimet, les Services archéologiques, l’Opéra de Paris, la Fémis, l’INA ou encore Campus France) pour soutenir l’Arabie Saoudite dans le développement touristique et culturel d’Alula.
Par effet d’entraînement, la France espère rafler pour ses entreprises des contrats d’infrastructure et aménagement dans une région où tout est à construire. Car passer des 20-30 000 visiteurs actuels à 1,5-2,5 millions annuels, tel est l’objectif du royaume wahhabite pour Al Ula, projet estimé à 50 – 100 milliards de dollars.
Pour l’heure, AlUla héberge cet hiver la deuxième édition du festival Winter at Tantora (où se produiront le ténor Andrea Bocceli et le violoniste Renaud Capuçon), le centre culturel Maraya (création du Gio Forma Studio Associato) consacré aux spectacles vivant et couvert d’étonnants panneaux lisses réfléchissants a ouvert ses portes, la biennale californienne d’art contemporain Desert X s’y invite début 2020 et la prestigieuse enseigne Aman érigera un camp de tentes de luxe, un resort conçu par Jean Nouvel et un hôtel-ranch dans le désert. Aussi, Sotheby’s penserait à y ouvrir un centre culturel.
Tout changer… pour attirer le capital privé
Le tracé du Paris-Dakar 2020 parcourt chacun de ces gigaprojets: la communication est maîtrisée, le royaume doit aguicher les visiteurs et inspirer confiance aux investisseurs privés étrangers.
Les annonces s’enchaînent ces derniers mois. Autant de gages adressés à l’international: fin de l’interdiction pour les Saoudiennes de conduire et de sortir du pays sans l’accord de leur tuteur, levée de l’interdiction des cinémas de certains événements mixtes, droit pour les couples d’étrangers non mariés et femmes seules de réserver des chambres d’hôtel, visas touristiques délivrés pour 49 pays, remplacement du port de l’ayaba par une « tenue pudique » pour les femmes étrangères, création d’un espace juridique à part pour le Red Sea Project permettant le port du bikini. Précisons tout de même que vins et spiritueux restent pour le moment interdits.
Un partenaire fiable ?
Alors que les titres de la dette d’Etat saoudienne émis encore cette année s’arrachent sur les marchés internationaux, Riyad peine à attirer les investisseurs étrangers sur son territoire, pourtant massivement représentés en octobre dernier au troisième Future Investment Initiative, le « Davos du désert ».
Reste en effet à savoir à quel prix partiront les titres du joyau national Saudi Aramco sur les marchés internationaux, après une première entrée réussie de 1,5% de son capital sur la bourse locale cette semaine, opération censée financer Vision 2030. D’autres redoutent enfin les promesses sans lendemain et le manque de fiabilité et efficacité de leurs interlocuteurs et collaborateurs saoudiens
Rendez-vous en 2022.