|
|
Des consommateurs plus nombreux, aux motivations divergentes, qui poussent l’industrie à sans cesse interroger ses pratiques et ses valeurs. Telles sont les conclusions d’une étude passionnante sur les familles du luxe que propose l’expert en marketing Jean-Louis Chandon.
Qu’est-ce que le luxe ? Quelle est son essence ? Guillaume de Sardes revenait dans une de ses chroniques consacrées à la notion de « goût » sur une critique de Pierre Bourdieu, en lui opposant une relecture des travaux de Thorstein Veblen mettant en avant la notion de loisir et l’importance de la culture esthétique : « cette culture du discernement sans laquelle il n’est pas de luxe véritable ».
Eternel débat que celui des motivations, secrètes ou avouées, des amateurs d’objets ou d’expériences luxueuses. L’économiste Jean-Louis Chandon, directeur de recherches à l’INSEEC, a récemment apporté une contribution éclairante en proposant sur le site The Conversation une synthèse de ses travaux sur les familles de consommateurs.
Premier constat, celui d’un éclatement des comportements et des motivations d’achat, dans un mouvement que le chercheur compare à l’extension de l’univers, mouvement qui aboutit à la formation de galaxies de plus en plus éloignées.
Pour rendre compte du nouveau paysage du luxe, Jean-Louis Chandon propose deux axes : le premier oppose la consommation intermittente, souvent décidée sous le coup de l’émotion, au désir de possession durable. L’axe horizontal s’organise autour de deux figures-type : les novices enthousiastes et les connaisseurs et experts.
Sur cette base, le chercheur distingue quatre grandes familles :
- La famille déjà ancienne du « luxe classique », public plutôt âgé, élitiste et cultivé en quête d’expériences uniques, ceux que Veblen, encore lui, qualifiait volontiers de « snobs » ;
- Les « experts en gratification », pour qui la reconnaissance sociale compte davantage que la possession silencieuse, et qu’on peut grosso modo associer à la catégorie ancienne des « nouveaux riches » ;
- D’apparition plus récente, les « touristes du luxe post-modernes ». Toujours prêts à craquer pour une expérience éphémère, ils préfèrent une nuit à Versailles à un vieux manoir reçu en héritage. Ce sont aussi les plus sensibles à la contrefaçon si l’occasion se présente ;
- Viennent enfin les « adeptes du luxe démocratique », matérialistes et discrets, préparant leurs achats sur Internet, plus volontiers attirés par la seconde main.
Une consommation éclaté, et la nécessité de préserver un statut à part
La difficulté, avec l’arrivée de nouveaux consommateurs aux comportements plus papillonnants, est de maintenir l’unité du concept de luxe, plus tiraillé que jamais entre l’aspiration à la rareté et les tendances à la démocratisation qu’incarnent les nouveaux publics. Les adeptes du luxe démocratique contribuent notamment à faire bouger les lignes du secteur : « pour eux la frontière prix-du-luxe est plus basse que pour les aristocratiques habitants de la galaxie du luxe classique. »
Pour montrer comment les marques s’adaptent à cette nouvelle donne, Jean-Louis Chandon prend l’exemple du champagne. Devant le risque de dilution et de perte d’attractivité, les grandes maisons ont recours à des stratégies variées : sponsoring sportif prestigieux, campagnes axées sur l’authenticité et la tradition, recours à des égéries de standing, partenariats avec des restaurants étoilés. Ainsi le secteur parvient-il, malgré l’écoulement d’un nombre non négligeable de bouteilles, à maintenir une image haut de gamme qui parle à la plupart des « familles ».
L’article pointe aussi, parmi les signes de la modernité avec lesquels doivent composer les marques, l’apparition de nouvelles tendances comme celle du luxe responsable. Une tendance illustrée par la figure de Stella McCartney : la couturière, par son opposition à la fourrure et pour son respect affiché pour la nature et les animaux, montre qu’il est possible de continuer à faire du luxe en rompant avec certaines figures imposées.