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Il a vendu des millions d’albums et servi de modèle à des centaines d’artistes. L’ex-Roi de la Pop était aussi une source d’inspiration pour les créateurs de mode. Alors que les dernières révélations sur son mode de vie viennent ternir son image au point que certaines radios ont décidé de ne plus diffuser ses titres, des couturiers ont également retiré toutes les références à l’artiste. Faut-il désormais bannir toute référence à l’artiste défunt ?
Du sang sur le dancefloor : il aura suffi d’un nouveau témoignage de victimes supposées des agissements de la star pour relancer les soupçons de pédophilie à l’encontre de Michael Jackson.
La diffusion aux Etats-Unis du documentaire Leaving Neverland a provoqué une nouvelle bataille autour de la mémoire du chanteur mort en 2009. Des fans se mobilisent pour le défendre. Des stars qui l’avaient toujours soutenu se désolidarisent de lui.
Une figure célébrée par les artistes
De quoi rendre suspect le moindre mouvement d’enthousiasme provoqué par sa musique, considérée depuis plus de quarante ans comme une des plus formidables machines à danser de tous les temps. Avec 350 millions de disques vendus, dont 66 pour le seul Thriller (record toujours à battre), l’ancienne figure de proue des Jackson 5 était devenue une icône. Ayant atteint des sommets de popularité aux débuts de MTV, il avait compris avant tout le monde que l’image, en particulier la chorégraphie, était au moins aussi importante que la musique dans l’engouement pour un tube.
Un chanteur aussi éminemment visuel ne pouvait qu’inspirer les autres créateurs. Il y a encore quelques mois, le Grand Palais organisait une exposition retraçant les liens féconds entre l’art contemporain, la mode et l’idole pop. La marque Hugo Boss, l’un des mécènes de l’exposition, en avait profité pour sortir trois tee-shirts inspirés par l’artiste, en plus de rééditer le costume blanc porté par Jackson sur la pochette de Thriller. Olivier Rousteing, directeur artistique de Balmain, revendiquait son influence dans sa dernière collection masculine.
Pour les marques, un contexte sociétal plus exigeant
Dans le contexte agité qui suit la diffusion de Leaving Neverland, les maisons qui avaient misé sur la star à l’occasion des dix ans de sa mort préfèrent jouer profil bas. Par mesure de précaution, Louis Vuitton a retiré toute référence à l’artiste de sa nouvelle collection.
Cette affaire illustre les aléas auxquels doivent faire face les acteurs et actrices de la mode dans un monde de plus en plus transparent. Les controverses d’image et autres appels au boycott sont devenus un phénomène courant, parfois provoqué par les stars, dont les harangues sont reprises instantanément sur les réseaux sociaux. On se souvient du rappeur 50 Cent brûlant un t-shirt Gucci qui faisait référence à l’imagerie du blackface, considérée comme une insulte pour les Africains-Américains.
Les révélations sur Michael Jackson surviennent en plus à un moment particulier, marqué par les suites de l’affaire Weinstein. Les soupçons de pédophilie qui pèsent sur la star ne peuvent pas être comparés aux abus reprochés au producteur ni aux cas soulevés par le mouvement MeToo, mais l’écho qui leur est donné témoigne d’une intransigeance renforcée à l’égard des abus sexuels. La sensibilité de l’opinion à la représentation du corps et de la sexualité s’en trouve bouleversée. Le monde de la mode est obligé de reconsidérer des pans entiers de son imagerie. Les provocations ne sont plus toutes possibles aujourd’hui.
Le crépuscule des dieux
Peut-on encore recourir à des égéries, au risque que celles-ci se révèlent être tout sauf des saints? Doit-on réfuter les talents d’écrivain d’un Céline parce qu’il était un antisémite notoire ? Que faire de Roman Polanski, condamné pour viol sur mineure ? Quid de Woody Allen, lui aussi sujet à des accusations ?
Le consensus est difficile à trouver. La multiplication de motifs de susceptibilité dans les sociétés démocratiques entraine une recrudescence des scandales liées aux comportements privés, la frontière entre ce qui est public et privé devenant de plus en plus floue. Certains crieront à l’avènement de l’ordre moral. D’autres à une indulgence coupable chez ceux qui pardonnent tout à l’artiste au nom de son génie créatif.
Sur ce chemin de crête, le monde de la mode se doit d’agir avec plus de prudence que par le passé. Celles et ceux qui veulent capitaliser sur l’image des stars doivent désormais se montrer capables de réagir efficacement aux scandales potentiels. Les « idoles » font l’objet d’une adoration religieuse. Pourtant, certaines sont, dans leur vie privée, des individus détestables. Peut-être l’usine à rêves va-t-elle gagner un peu en maturité.