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Alors que la « fast fashion » est de plus en plus décriée pour ses ravages sur l’environnement, créateurs et grandes marques misent sur le recyclage des textiles « par le haut ».
« Rien ne se perd, tout se transforme » : dans l’industrie de la mode et du textile, le célèbre adage attribué à Lavoisier a longtemps été ignoré. Si la production mondiale de vêtements a doublé en une quinzaine d’années, aujourd’hui, moins de 1% de ces habits est recyclé. Conséquence directe : les trois quarts (73%) des vêtements produits à l’échelle de la planète finissent leur vie dans des décharges où, en se décomposant, ils représentent une importante source de pollution. La France ne fait pas exception à la règle : sur les 600 000 tonnes de textiles, linge de maison et chaussures mises sur le marché dans l’Hexagone chaque année, seul un tiers – 195 000 tonnes – est collecté par la filière de valorisation.
« L’upcycling » : plus qu’une tendance, un corpus de valeurs
Prenant acte des ravages causés par la « fast fashion », ces vêtements « prêts à jeter », de plus en plus de créateurs et de marques repensent leur rapport à la mode. Un mouvement largement adopté par les géants du secteur, qui sont nombreux désormais à présenter leur démarche comme relevant d’une mode « éthique », « responsable » ou encore « solidaire », sans que l’on sache précisément ce que ces qualificatifs recouvrent. Mais certains vont plus loin encore, et misent tout sur un nouveau phénomène : « l’upcycling ».
« L’upcycling », maladroitement traduit par « surcyclage » en Français, c’est cette pratique qui ne consiste pas tant à recycler de vieux vêtements et textiles usagés, qu’à créer à partir d’eux de nouvelles richesses, « par le haut » ; un principe qui est d’ailleurs à la base de l’économie dite « circulaire ». Pour Anaïs Dautais Warmel, fondatrice de la marque pionnière Les Récupérables, l’upcycling est « l’action de récupérer des matières et matériaux non utilisés et des les transformer en matières ou matériaux de qualité supérieure », confie-t-elle au Figaro.
Les consommateurs étant de plus en plus sensibilisés aux problématiques environnementales et sociales, l’upcycling connait un véritable engouement. « Sa meilleur ambassadrice », selon Le Monde du 19 novembre, « est sans nul doute Marine Serre, 26 ans, lauréate du prix LVMH (des jeunes créateurs) 2017, et qui s’est fait cette année une véritable place dans le cénacle de la fashion week parisienne avec la griffe qui porte son nom ». « Il y a beaucoup trop de vêtements dont on ne sait pas quoi faire, et personne n’a envie de produire moins. La solution que j’ai trouvée, c’est de travailler à partir de matières déjà existantes », détaille la créatrice au quotidien.
Depuis les précurseurs Martin Margiela et Maroussia Rebecq, fondatrice d’Andrea Crews, de plus en plus de créateurs font eux aussi le pari de la récup’ et de l’upcycling, à l’image d’Atelier Gaëlle Constantini, Floriane Fosso, W.Y.L.D.E. ou encore Hoopal. Des marques engagées, qui portent dans leur ADN les valeurs d’éco-responsabilité et de solidarité. Et qui sont, peu à peu, suivies par les mastodontes de la fast fashion, comme H&M, Uniqlo, Camaieu, Cyrillus ou Mango qui, tous, organisent désormais des collectes de vêtements usagés. Et ce d’autant plus que les autorités publiques commencent à taper sur la table, afin d’inciter l’industrie à devenir plus vertueuse.
Le gouvernement en guerre contre le gaspillage
Dans le cadre de sa feuille de route pour une économie circulaire, le gouvernement français a annoncé en avril dernier, par la voix du premier ministre Edouard Philippe, son intention de « faire valoir d’ici 2019 pour la filière textile les grands principes de lutte contre le gaspillage alimentaire afin de s’assurer que les invendus ne soient ni jetés, ni éliminés ». En somme, il s’agit d’interdire à l’industrie de la mode de jeter ses invendus et de la contrainte à nouer des partenariats avec les associations. Une mesure saluée par les associations caritatives, comme Emmaüs, qui militait depuis de longues années en faveur de telles avancées.
Reste que les mentalités tant des industriels que des consommateurs mettent du temps à évoluer. « ‘Pour l’instant, l’upcycling concerne de petits volumes, reconnaît auprès du Monde Julie Marcel, consultante à l’agence Utopies, spécialisée dans le développement durable. C’est une piste intéressante, mais il faut repenser tout le processus de production et d’usage des vêtements : viser zéro chutes [aujourd’hui 15 % est jeté lors de la découpe], fabriquer des habits de meilleure qualité, qui puissent être réparés lorsqu’ils sont abîmés, et recyclés seulement lorsqu’ils ne sont plus utilisables.’ ‘Et apprendre aux étudiants en mode à ne pas produire de nouveaux tissus, mais à utiliser ceux qui existent déjà », complète Stéphanie Calvino, membre du collectif Anti_Fashion Project, qui pointe du doigt les dérives du secteur’ ».
La lauréate du Prix LVMH, Marine Serre, n’a quant à elle pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. La jeune femme s’apprête ainsi à relocaliser sa production d’Italie vers Paris, afin d’en minimiser l’empreinte carbone et de favoriser l’emploi localement. Une Marie Serre dont les équipes peuvent consacrer une semaine entière à la confection d’une veste, et pour qui l’upcycling n’est pas loin de redéfinir la notion de luxe dans son ensemble : « Le luxe, aujourd’hui, confie-t-elle au quotidien du soir, c’est prendre le temps de bichonner une pièce, de la rendre unique ».