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D’Audemars Piguet à LVMH, les grands noms du luxe misent de plus en plus sur l’art : fondations privées, showroom dédiés lors des foires d’art contemporain, mécénat… Tout est bon pour prolonger l’expérience d’excellence proposées par ces grandes maisons à leurs clients.
Miami, début décembre 2017. Comme chaque année à la même époque, tout ce que le monde compte d’artistes, de collectionneurs et de milliardaires férus de création contemporaine se presse dans les allées de l’Art Basel, l’une des foires mondiales les plus courues par l’élite internationale. Dans l’immense hangar qui abrite l’évènement, les galeristes réalisent parfois jusqu’à 40% de leur chiffre d’affaires annuel.
A Miami, les fondations privées à l’honneur
Mais, entre les cocktails et soirées privées, ce sont bien les fondations privées qui attirent la convoitise des festivaliers. Des artistes comme Ugo Rondinone, Sterling Ruby ou Christopher Wool sont en effet exposés dans des espaces surdimensionnés, dignes de véritables musées, créés à la gloire des grandes fortunes mondiales : The Rubell Family Foundation, The Cruz Collection, The Margulies Collection, etc.
Le Collectors Lounge attire lui aussi les foules. Dans ce lieu dédié aux marques sponsorisant l’évènement, les visiteurs ont pu admirer les derniers modèles de l’horloger Audemars Piguet. Mais, surtout, s’extasier devant l’installation réalisée par l’artiste américain Lars Jan, intitulée « Slow-Moving Luminaries ». « Le mécénat de riches collectionneurs constitue une vieille tradition, explique l’artiste multidisciplinaire, le plus connu est celui des Médicis. Audemars Piguet, qui est une manufacture artisanale, possède une réelle complicité avec le travail des artistes sollicités. Et cela fait la différence ».
Le mécénat, une bouffée d’oxygène pour des musées français à la peine
La différence, les grands établissements muséaux français ont de plus en plus de mal à la faire. Alors que la plupart d’entre eux sont contraints à une course au développement de leurs ressources propres, que les subventions publiques diminuent et qu’ils accusent encore le coup de la baisse de fréquentation, due aux attentats qui ont frappé la France – sans même parler des travaux de rénovation prévus, comme au Grand Palais à partir de 2020 –, l’ancien président du Centre Pompidou, Alain Seban, s’interroge : le modèle économique des musées hexagonaux est-il encore viable ?
Faute d’argent public, les musées se tournent vers les fonds privés. Le mécénat d’entreprise ne s’est, en effet, jamais aussi bien porté. Selon le dernier rapport d’Admical, en 2016, les entreprises mécènes sont de plus en plus nombreuses (de 12% en 2014 à 14% en 2016) et, surtout, de plus en plus généreuses. Elles ont alloué, la même année, quelque 3,5 milliards d’euros (un montant en hausse de 25%), tous secteurs confondus.
« De plus en plus de patrons sont conscients du potentiel d’innovation que le mécénat représente pour l’entreprise et ses salariés : l’entreprise de demain sera engagée ou ne sera pas », se félicite le président d’Admical, François Debiesse. Quant au mécénat culturel à proprement parler, il attire 24% des entreprises et représente 15% du budget global, soit 500 millions d’euros.
Symbole de cette ouverture des grands musées aux fonds privés, le plus emblématique des établissements français, le Louvre, a lancé, en 2010, l’opération de crowdfunding « Tous mécènes ». Avec un succès qui ne se dément pas : pas moins de 3 773 donateurs ont ainsi contribué à la réhabilitation de la célèbre chapelle du mastaba d’Akhethéten, un dignitaire égyptien, et un million d’euros ont été réunis pour acheter Les Trois Grâces, du peintre Cranach. « Le financement privé compte de plus en plus », reconnaît Vincent Rondot, le directeur du département des antiquités égyptiennes du Louvre.
LVMH en pointe dans le mécénat culturel
Fondation Cartier pour l’Art contemporain, Fondation François Pinault à Venise, Fondation Louis Vuitton à Paris, mais aussi Prada, Boucheron, Hermès, Chanel, Jaeger-Lecoultre… Les Médicis du XXIe siècle se retrouvent chez les grands noms du luxe international. Les maisons de luxe sont, depuis leur origine, passées expertes pour matérialiser ce lien indéfectible avec l’art.
Mais en la matière, LVMH et son emblématique président, Bernard Arnault, semblent avoir une longueur d’avance sur leurs concurrents. En témoigne le succès du navire amiral de la Fondation Louis Vuitton qui, depuis son ouverture en 2014, enchaîne les expositions « hors norme ». A l’image de la présentation de la collection Chtchoukine, qui a presque atteint 1,3 million de visiteurs. Ou, plus récemment, de l’exposition « Etre moderne », qui rassemble une sélection de 200 œuvres issues des collections du prestigieux MoMA new-yorkais : Paul Cézanne, Marcel Duchamp, Gustav Klimt, René Magritte, Pablo Picasso…
Autant de grands noms que seul un groupe comme LVMH pouvait rassembler. Selon Jean-Paul Claverie, conseiller de Bernard Arnault, président de la Fondation Louis Vuitton, « cet événement prolonge la relation historique que nous entretenons avec le MoMA, référence mondiale en matière d’art moderne et contemporain. Certaines des œuvres seront exposées à Paris pour la première fois ».
Non content de participer au dynamisme culturel de la capitale, Bernard Arnault et son groupe ont également mis la main à la poche pour permettre au Louvre d’acquérir, dans le cadre de la huitième opération « Tous mécènes », le Livre d’heures de François Ier (photo). Un chef d’oeuvre de la Renaissance française, mis à prix 10 millions d’euros par son propriétaire, et pour lequel LVMH contribue à la moitié du prix de l’achat – le reste étant, en partie, financé par les dons de particuliers. Pour les marques de luxe, le mécénat ou leurs propres fondations apparaissent donc comme le prolongement logique et naturel de l’excellence qu’ils proposent à leurs clients.