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La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a permis à Paris de conforter sa place de capitale du luxe. Mais Londres conserve des atouts, et s’impose comme la capitale des ultra-riches.
Le Brexit entre dans sa phase finale. Après qu’un accord préliminaire a été trouvé, fin décembre 2017, sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), les deux parties ont entamé leurs discussions sur la période de transition, qui suivra le départ britannique. Celui-ci devrait intervenir à la fin du mois de mars 2019.
Malgré l’âpreté des négociations de sortie, malgré les dissensions qui se font jour au sein de la classe politique anglaise entre partisans d’un Brexit « dur » et modérés, force est de constater que l’apocalypse promise par les opposants au Brexit n’a pas eu lieu. Pourtant, les observateurs et partisans du « remain » n’avaient pas assez de mots pour mettre en garde contre les conséquences négatives d’une sortie du pays. En particulier en ce qui concerne les secteurs du luxe et de la mode, victimes collatérales du « leave »…et du départ annoncé des grandes fortunes de la City.
« Le Brexit est un désastre pour la mode britannique »
Le secteur de la mode, au sens large, compte pour beaucoup dans le PIB britannique. Il aurait rapporté 26 milliards de livres sterling (soit l’équivalent de 33 milliards d’euros) au cours de la seule année 2014. Avant le referendum du 23 juin 2016, les craintes étaient donc nombreuses quant aux répercussions d’une possible sortie du Royaume-Uni de l’UE. Une éventuelle dévaluation de la livre aurait impliqué une hausse du prix des importations pour les maisons, comme Burberry, qui travaillent beaucoup avec les pays étrangers, comme l’Italie. Avec, à la clé, une hausse des prix pour les consommateurs.
Cependant, immédiatement après l’annonce de la victoire du « leave », les chanceux de passage à Londres ont pu se procurer des articles de luxe au meilleur prix, en raison de la chute de la livre sterling. Les ventes de luxe ont ainsi augmenté de 16% en juillet 2016 par rapport à juillet 2015. Mais cette bonne nouvelle pour les clients n’en est pas forcément une pour les marques de luxe : « Si les coûts sont largement en livres sterling, mais que les recettes sont en euros ou en dollars, alors les euros et les dollars gagnés à l’étranger leur coûteraient plus cher », analyse Luca Solca, responsable des biens de luxe chez Exane BNP Paribas.
Les professionnels du secteur la mode ont également craint que le Brexit n’entraine une « fuite des cerveaux » créatifs hors des frontières britanniques. Les écoles de création, à l’instar de la prestigieuse Saint Martins School, craignaient légitimement qu’elles n’attirent plus les talents venus du monde entier. Quand on a accueilli sur ses bancs des créateurs aussi connus que John Galliano, Riccardo Tisci ou Alexander McQueen, ces appréhensions semblent fondées.
Avec le Brexit, les financements européens, qui permettent aux étudiants de fréquenter les grandes écoles de mode britanniques, seront également supprimés. « A une époque où le coût de la vie à Londres met déjà une énorme pression sur notre secteur créatif, nous avons besoin de nous ouvrir aux opportunités, pas de nous refermer sur nous-mêmes », alerte ainsi Frances Corner, la directrice du London College of Fashion. « Le Brexit est un désastre pour la mode britannique », conclut Hadley Freeman, éditorialiste au quotidien The Guardian.
Paris renforce sa place en Europe
Le départ de Londres semble faire les affaires des autres capitales européennes. Francfort, Amsterdam, Madrid ou Bruxelles ont tous lancé une « opération séduction », afin d’attirer les talents…et l’argent quittant le Royaume-Uni. La capitale française n’est pas en reste : Paris Europlace, une structure de lobbying présidée par Gérard Mestrallet, l’ancien PDG d’Engie, met ainsi tout en œuvre pour attirer les cadres et dirigeants du secteur financier, en partance de la City londonienne.
Quelque 20 000 traders et autres financiers seraient attendus à Paris. Autant de clients potentiels pour l’industrie française du luxe : ainsi, selon une étude réalisée par Kantar, les personnes sensibles au luxe seraient deux fois plus nombreuses parmi les Français au revenu supérieur à 60 000 euros par an que dans l’ensemble de la population. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les autorités françaises cherchent à attirer les hauts salaires de la City.
Les excellents chiffres du luxe à Paris au cours de l’année écoulée confirment cette tendance. 2017 a été marquée par une forte fréquentation touristique dans les grands magasins de la capitale. Les ventes du Bon Marché, propriété du groupe LVMH, ont été estimées à 650 millions d’euros. Quant à celles du Printemps Haussmann, dans l’escarcelle du groupe Kering, elles ont bondi de 8%.
Le secteur de l’immobilier de prestige est lui aussi à la fête. En 2017, les transactions sur les biens haut de gamme ont ainsi augmenté de 25%, et les prix de 10%. Paris, qui est passée de la 5e à la 2e position dans le secteur, a détrôné Londres et a bénéficié de « l’effet report consécutif au Brexit », estiment les réseaux Barnes et Warburg, dans une étude commune publiée en janvier.
Londres reste la capitale des ultra-riches
Le Brexit a donc permis à la capitale française de se maintenir parmi les métropoles mondiales les plus influentes. Mais, selon le classement Gobal Cities 2017, publié par le cabinet A. T. Kearney en juillet dernier, Paris reste en troisième position, derrière New York…et Londres. La sortie du Royaume-Uni, pour inquiétante qu’elle soit, n’a pas suffit à faire perdre en attractivité à la capitale britannique.
Croissance du PIB de 1,7% en 2016 et 2% en 2017, vitalité des échanges commerciaux, marché de l’emploi dynamique… : le Royaume-Uni continue d’afficher des performances enviables. Mieux encore, Londres continue d’attirer les milliardaires. Le nombre d’ultra-riches présents dans la capitale anglaise devrait même augmenter de 30% d’ici à 2026. Fragilisés, les secteurs britanniques de la mode et du luxe semblent donc garder des atouts.