|
|
Dissoute lors de la Révolution, la corporation des marchands merciers a joué un rôle majeur dans la diffusion de l’art et du luxe français.
Aux sources du luxe à la française. Tombée dans l’oubli, la corporation des marchands merciers est pourtant à l’origine de l’essor de l’industrie du luxe. C’est à ces entrepreneurs avant l’heure que le Musée Cognacq-Jay, à Paris, consacre jusqu’à fin janvier une inédite exposition, intitulée « La Fabrique du Luxe. Les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle ». L’occasion de découvrir, ou de redécouvrir, l’histoire et l’influence de cette corporation aussi codifiée qu’indispensable à la diffusion de l’art et du luxe français.
« Marchands de tout, faiseurs de rien »
Troisième des sept corporations parisiennes, ou « Corps de la Ville de Paris », les marchands merciers se distinguaient, sous l’Ancien régime, des autres corps de métier du fait que, contrairement à ces derniers qui étaient assignés à la fabrication d’une catégorie précise de produits, ils se dévouaient uniquement au commerce. Ce qui fera dire à Denis Diderot, dans son Encyclopédie, qu’ils « sont marchands de tout et faiseurs de rien ». Une remarque peu aimable, mais fidèle à la réalité de cette corporation atypique.
De fait, les marchands merciers – la « mercerie » étant, au XVIIIe siècle, synonyme de « marchandise » –, importent et vendent alors à tout va. Pour Savary des Brûlons, l’auteur du Dictionnaire universel du commerce, ils sont « ceux qui vendent des tableaux, des estampes, des candélabres, des bras, des girandoles de cuivre doré et de bronze, des lustres de cristal, les figures de bronze, de marbre, de bois et d’autre matière, des pendules, horloges et montres ; des cabinets, coffres, armoires, tables, tablettes, et guéridons de bois de rapport et doré, des tables de marbre et autre marchandises et curiosités propres pour l’ornement des appartements ».
Non affiliés au système de guildes mis en place au Moyen-Âge, les marchands merciers sont aussi les seuls à pouvoir légalement modifier ou faire modifier des pièces originaires de différentes corporations, comme des porcelaines chinoises avec des poignées en bronze, ou des pièces de la manufacture de Sèvres avec des montures en or. « Ce Corps est considéré comme le plus noble et les plus excellent de tous les Corps des Marchands, d’autant que ceux qui le composent ne travaillent point et ne font aucun ouvrage de la main, si ce n’est pour enjoliver les choses qui se sont déjà faîtes et fabriquées », dira encore d’eux Savary des Brûlons.
Les marchands merciers, décorateurs, négociants et importateurs à la fois
Un atout qui n’échappe pas aux élites parisiennes, pour lesquelles les marchands merciers font alors office d’intermédiaires avec un réseau d’artistes et d’artisans du monde entier. Ils « se trouvent au coeur d’un réseau à trois pôles, explique le site dédié à l’exposition : le commanditaire, l’artisan ou artiste et, phénomène nouveau à la puissance croissante, la ‘mode’. », comme celle des porcelaines chinoises montées en bronze dorée, ou « Chinoiseries », qui ravissent connaisseurs et collectionneurs du milieu du XVIIe siècle.
A la fois décorateurs, négociants, importateurs et collecteurs de biens, les marchands merciers sont également à l’origine du développement de la « marque » et de la publicité. « Aussi, pour se faire connaître et agrandir leurs réseaux, ils développent les mécanismes de la promotion publicitaire, avec le concours de dessinateurs anonymes ou d’artistes comme Boucher ou Watteau », poursuit le site du Musée Cognacq-Jay. Dans les quartiers où ils s’implantent – les rues Saint-Honoré, de la Monnaie, Saint-Martin ou Saint-Denis –, ils dessinent, bien avant le Triangle d’Or actuel, une première « cartographie du luxe parisien ».
Une exposition hommage
Dissoute, comme toutes les autres guildes, à la Révolution française, la corporation des marchands merciers, qui comptait plus de 3 200 membres en 1775, revit donc le temps d’une exposition. Un parcours-hommage conçu par Rose-Marie Herda-Mousseaux, la directrice du musée Cognacq-Jay, qui permet d’admirer une centaine de documents et œuvres d’art, comme une cage à oiseaux en bronze ornée de fleurs de porcelaine sortie de la manufacture de Sèvre, ou encore une paire de candélabres à deux branches, décorée de fleurs et d’oiseaux réalisés par les manufactures de Meissen et de Vincennes. Autant de trésors à admirer jusqu’au 27 janvier.
Exposition « La Fabrique du Luxe. Les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle ». Musée Cognacq-Jay, 8 rue Elzévir (Paris IIIe). Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures. Jusqu’au 27 janvier 2019. Entrée : 8 euros.