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Aussi critiqué que craint, le classement du célèbre guide rouge continue d’affoler chefs et fins gourmets. Avec un nouveau directeur à sa tête, le guide Michelin doit se renouveler s’il veut regagner en crédibilité et en audience.
Une page se tourne pour le célèbre guide rouge. Le 17 septembre, le fabricant de pneus Michelin a annoncé la nomination de Gwendal Poullennec à la tête des 32 éditions internationales du guide gastronomique. Âgé de 38 ans, ce Breton, diplômé de l’Essec, était jusqu’alors directeur du développement international du guide, après en avoir été secrétaire général. Il a notamment supervisé les déploiements internationaux de l’entreprise aux Etats-Unis et en Asie. « Il est également à l’initiative des lancements du guide Michelin à New York, San Francisco, Hong Kong, Kyoto, et plus récemment Bangkok ou Taipei », indique le communiqué du groupe.
Diversification stratégique
Gwendal Poullennec succède au franco-américain Michael Ellis, en poste depuis le 1er janvier 2012. Son départ avait été annoncé en juin dernier. « Sous son impulsion, les équipes du guide Michelin ont conduit avec succès une stratégie dynamique d’internationalisation », avait alors commenté le groupe dans un communiqué. « Mes sept années à la tête des guides Michelin ont été les plus passionnantes de ma carrière et je ne remercierai jamais assez le groupe Michelin de m’avoir donné cette opportunité unique », avait déclaré pour sa part l’ex-directeur des guides rouges.
Ces changements à la tête du plus célèbre guide gastronomique au monde interviennent à un moment charnière dans l’histoire du Michelin. Au cours des dernières années, le guide rouge a entamé sa diversification stratégique, en rachetant le non moins célèbre guide des vins Parker, ou encore en prenant une participation de 40% dans le guide parisien du Fooding. « Il est indéniable que les 20-30 ans sont plus touchés par le Fooding que par nous », confiait Michael Ellis à L’Express en janvier dernier : « C’est une très bonne cohabitation, on apprend les uns des autres, même si chaque rédaction est indépendante ».
Controverses et concurrence
La période récente a aussi été marquée par une série de controverses, le guide Michelin étant accusé par certains de perdre en crédibilité. En cause, le refus du restaurateur triplement étoilé Sébastien Bras de figurer au palmarès de l’édition 2018, en raison de la trop « grande pression » qu’une telle récompense fait peser. « Il nous paraissait difficile de faire figurer dans le guide un restaurant qui a clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas faire partie de la grande famille des étoilés Michelin », a reconnu Claire Dorland-Clauzel, qui fait partie du comité exécutif du groupe. Une décision qui « ouvre une brèche, pour l’ancien rédacteur du guide Franck Pinay-Rabaroust, surtout à une époque où il y a une défiance par rapport au guide Michelin ».
L’ex-critique maison estime par ailleurs que le guide rouge « a pris un coup dans l’aile en ratant le virage de la bistronomie », cette nouvelle tendance s’inspirant des classiques de la cuisine de bistrot. Pour le critique gastronomique Périco Légasse, ce choix est « doublement stupéfiant. Le guide Michelin perd en crédibilité car personne ne peut lui interdire de noter un établissement et rien ne serait plus ridicule que de priver ses usagers de l’information sous prétexte qu’un cuisinier refuse d’être répertorié. Pour moi, Sébastien Bras a eu peur de perdre sa troisième étoile. Je comprends car la distinction est une arme à double tranchant, qui exige des investissements énormes ».
Cette perte de crédibilité se traduit aussi dans les ventes du guide. En 2017, celles-ci ont plafonné à 51 000 exemplaires. Alors qu’en 1989, le Michelin pouvait se targuer de vendre quelque 600 000 exemplaires et, en 1996, toujours 500 000. De fait, le guide Michelin est de plus en plus concurrencé par des publications comme 50 Best, dont l’influence ne cesse de s’étendre, la « Liste », ou encore les World Restaurant Awards, qui auront lieu à Paris en février prochain.
Dans son livre « A boire et à manger » (2006, Editions Labor/PAC), le chroniqueur gastronomique Olivier Nanteau prédit même la « mort annoncée » du guide : « Les nouvelles technologies et leur usage croissant nous conduisent à redouter les jugements monolithiques d’un pavé annuel et parfois indigeste. Les comportements ont basculé avec le siècle, et l’idée même de se fier, pieds et poings liés, à un guide quel qu’il soit a trop déçu pour donner envie de recommencer ». Des critiques balayées par Michael Ellis qui, quelques mois avant d’annoncer son départ, confiait quant à lui qu’on « peut dire sans trop de risques que le guide Michelin est, surtout en France, une institution ».
Le Michelin « ne peut pas être acheté »
« On fait fantasmer car on ne peut pas être achetés », clamait aussi son ancien directeur : « je suis clair : les cinq critères sont indiqués dans le guide, à savoir le choix des produits, la justesse des cuissons et des saveurs, la personnalité, la constance et le rapport qualité-prix. Ces critères son inébranlables ». Afin de casser son image vieux-jeu, le Michelin organise désormais tous les ans une cérémonie officielle de remise – et de retrait – de ses fameuses étoiles. La dernière édition s’est tenue le 5 février 2018. Assortie d’une nouvelle polémique, les inspecteurs du guide n’ayant distingué que deux femmes dans leur classement. A peine arrivé à sa tête, Gwendal Poullennec a donc du pain sur la planche pour dépoussiérer et renouveler une institution en recherche d’un nouveau souffle.