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Alors qu’un documentaire est en préparation sur le dramatique incendie de la cathédrale, les architectes du monde entier rivalisent d’audace dans leurs projets de reconstruction. Parallèlement, les députés viennent d’adopter une loi facilitant les démarches d’une restauration en grande partie financée par les dons de grandes fortunes françaises.
Un documentaire pour ne pas oublier. Selon la presse américaine, la société de production Freemantle aurait acquis les droits internationaux pour un documentaire intitulé « Notre-Dame : In Flames », qui retracera la terrible soirée du 15 avril 2019, lorsque le monde entier a assisté, impuissant, à l’incendie de la plus parisienne des cathédrales. Le film, dont aucune date de sortie n’a encore été révélée, sera en grande partie basé sur des images tournées par les pompiers intervenant dans l’édifice, ainsi que sur des documents fournis par les forces de police, les habitants de Paris et les touristes. Il devrait également donner la parole au prêtre et à l’organiste de Notre-Dame, tous deux présents au début de l’incendie.
Des projets plus fous les uns que les autres
En attendant de revivre sur grand écran ces dramatiques heures d’angoisse et de stupeur, la compétition fait rage entre architectes pour remporter le projet de reconstruction de la toiture et de la flèche de Notre-Dame, qui se sont effondrées au cours de l’incendie. Le Parisien a ainsi soumis au vote de ses lecteurs une dizaine de projets plus audacieux les uns que les autres, en omettant sciemment l’hypothèse pour l’heure la plus probable : la reconstruction à l’identique. Se distingue ainsi, au terme du vote de quelque 34 000 internautes, le projet de l’architecte parisien Christophe Pinguet, intitulé « Que la lumière soit ! » : il s’agirait d’une installation éphémère de projecteurs illuminant le ciel au-dessus du monument entre le 25 novembre et le 15 janvier de chaque année, au moment des fêtes.
En seconde position, le projet « Tout en vitrail » de l’artiste brésilien Alexandre Fantozzi remporte 15% des suffrages exprimés et séduit par son jeu de lumières naturelles, illuminant « de multiples couleurs la pierre de l’intérieur de la cathédrale ». Suivent, en troisième position ex-aequo, deux projets plus « verts » : « Un jardin suspendu », du studio NAB, et « Replanter la forêt », porté par Marc Carbonare, qui entend planter des arbres sur la toiture de la cathédrale. En revanche, le projet de « flamme géante » proposé par le Parisien Mathieu Lehanneur et qui souhaite « figer le moment du drame », suscite la désapprobation quasi-générale des votants, qui sont 96% à s’être exprimés contre un geste architectural sans doute trop audacieux… « Imaginer que l’on va refaire quelque chose d’ultramoderne sur la cathédrale n’a pas de sens, a de son côté estimé le ministre de la Culture, Franck Riester. Les Français ne l’accepteraient pas ».
Un projet de loi sur-mesure adopté par les députés
Pressés par le président de la République, Emmanuel Macron, qui a déclaré vouloir reconstruire Notre-Dame d’ici à 2024, les parlementaires français ont adopté, le lundi 13 mai, le projet de loi « pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris », un texte présenté en urgence par le gouvernement afin de faciliter les démarches administratives et juridiques liées à la reconstruction de l’édifice. Le texte prévoit, entre autres dispositions, la création sous six mois d’un nouvel établissement public dédié au chantier, auquel sera adossé un conseil scientifique qui sera « consulté sur les études et opérations de conservation et de restauration ». Il abaisse également de deux à un an la durée de l’habilitation conférée à l’exécutif pour ratifier les ordonnances relatives aux dérogations administratives et juridiques.
Enfin, le projet de loi, qui doit encore passer l’étape du Sénat à la fin du mois de mai, contient une disposition permettant, a priori, d’écarter les projets jugés trop fantaisistes : le projet vise ainsi « à poser un principe protecteur à la fois de l’intention des donateurs qui souhaitent rester fidèles à l’esprit de Notre-Dame de Paris, mais aussi des propriétés patrimoniales de [la cathédrale] qui sont mondialement reconnues et objectivées, motivant ainsi son classement en 1991 au rang de patrimoine mondial de l’Unesco ». Le gouvernement sera également contraint d’indiquer les origines et caractéristiques de chaque don dans un rapport remis au Parlement au plus tard en septembre 2020.
Cet « étrange rapport à la gratitude »
Une disposition qui n’est pas sans rappeler la polémique née de l’annonce, par certaines grandes fortunes françaises, de dons de plusieurs centaines de millions d’euros afin de contribuer à restaurer Notre-Dame – les familles Pinault, propriétaire de Kering, et Arnault, à la tête de LVMH, ayant déclaré renoncer aux déductions fiscales auxquelles leurs dons leur donnaient droit. « On s’est ému, à juste titre, des critiques formulées contre François Pinault et Bernard Arnault quand ils ont annoncé des dons importants (…), juge dans les pages du Figaro l’écrivain Jean-Michel Delacomptée, mais on ne s’est pas interrogé sur l’étrange rapport à la gratitude révélé par ces critiques. (…) Ce qu’elles exprimaient, c’est la sèche froideur des ingratitudes assumées. Se profile alors, sous le banal cas de défiance envers la générosité de patrons richissimes, une ligne de fracture fondamentale entre les Modernes, c’est-à-dire les progressistes, et les Anciens, c’est-à-dire les conservateurs ».
Et l’auteur de nombreuses biographies de conclure en citant Les caractères de La Bruyère : « Nous avons pour les grands (…) une jalousie stérile, ou une haine impuissante, qui ne nous venge point de leur splendeur et de leur élévation, et qui ne fait qu’ajouter à notre misère le poids insupportable du bonheur d’autrui »… Projets architecturaux aussi fous qu’ambitieux, oppositions politiques passionnées, question du mécénat remise sur le devant de la scène : l’incendie de Notre-Dame de Paris semble avoir ravivé cette fièvre, si française, du débat.