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Le styliste le plus connu au monde s’est éteint mardi 19 février. Pendant plus de trois décennies, il avait supervisé la création de la maison Chanel, tout en collaborant avec de nombreuses marques, dont Fendi. Aussi sensible que despotique, Karl Lagerfeld avait fait de son personnage une marque à part entière, propulsant la couture dans une nouvelle ère. Retour en deux volets sur l’héritage d’un couturier hors norme.
« Je veux juste disparaître comme les animaux de la forêt vierge », avait pour habitude de répéter Karl Lagerfeld. Mais c’est davantage un lion que la savane de la couture pleure aujourd’hui. Au lendemain de la disparition du plus célèbre des créateurs de mode au monde, décédé à Neuilly-sur-Seine à l’âge de 85 ans, c’est bien toute la planète mode qui rend hommage à un styliste de génie, qui avait fait de sa personne, et de son personnage, au moins autant que des vêtements qu’il dessinait compulsivement, une marque mondialement connue et reconnue. Sa seule silhouette était devenue une icône.
« Je suis né avec un crayon dans la main »
Karl Otto Lagerfeldt est « probablement » né le 10 septembre 1933, à Hambourg, en Allemagne – facétieusement, le couturier gardera jusqu’à sa mort le secret sur son âge, prétendant être né en 1938, puis en 1935 – d’un père héritier d’une fortune industrielle et d’une mère, Elisabeth Bahlmann, d’ascendance aristocratique. C’est avec elle, dont il dira qu’il « a lutté pour capter l’attention » et qu’elle était « amusante, parfois ironique et méchante, mais d’un charme irrésistible », qu’il assiste en 1949 à son premier défilé, celui de Christian Dior. En 1952, Karl et sa mère quittent l’Allemagne pour Paris, où le jeune homme fréquente le lycée Montaigne, puis l’Ecole de la Chambre syndicale de la haute couture parisienne.
« Dès mon plus jeune âge, j’ai voulu être adulte au plus vite, je trouvais la condition d’enfant humiliante… Je me suis aussi très vite intéressé aux vêtements. Je refusais, paraît-il, de remettre les même après la sieste », confiera-t-il à Madame Figaro en mai 2014. « Je suis né avec un crayon dans la main, mais je ne savais pas que la mode était un métier », se remémorait-il aussi. En 1954, le jeune Allemand timide franchit pourtant le pas : il obtient le premier prix du Secrétariat international de la laine, ex-aequo avec un certain Yves Saint-Laurent, le premier pour un manteau, le second pour une robe.
De Balmain à Fendi
Repéré par Pierre Balmain, qui fait partie du jury, Karl Lagerfeld assiste ce dernier de 1955 à 1962. Une époque pendant laquelle Lagerfeld et Saint-Laurent partagent le même cercle d’amis et se retrouvent pour danser au Fiacre et à L’Eléphant bleu, des boîtes de garçons. En devenant brièvement, en 1973, l’amant vénéneux du second, le dandy Jacques de Bascher, le grand amour de Karl Lagerfeld jusqu’à sa mort du Sida en 1989, brise l’amitié des deux stylistes, tout en ancrant dans l’Histoire de la mode l’un de ses conflits les plus légendaires. De son compagnon, avec qui il revendiquait un amour purement platonique, Lagerfeld dira que « Jacques de Bascher jeune, c’était le diable avec une tête de Garbo (…). Il s’habillait comme personne, avant tout le monde. C’est la personne qui m’amusait le plus, il était mon opposé. Il était aussi impossible, odieux. Il était parfait. Il a inspiré des jalousies incroyables ».
Karl Lagerfeld quitte Pierre Balmain en 1962 pour devenir directeur artistique de la maison Jean Patou, aujourd’hui propriété du groupe LVMH. Tournant le dos à la couture, il démarre alors une fructueuse carrière de styliste contractuel, créant des collections de prêt-à-porter en France, en Italie ou encore au Japon. Mais c’est en 1964 que la carrière de Karl Lagerfeld prend un véritable tournant, lorsque le créateur intègre, au côté de sa fondatrice Gaby Aghion, la maison Chloé. Misant sur le prêt-à-porter et les accessoires, Lagerfeld propulse la marque au pinacle de la mode. Puis, en 1965, Karl Lagerfeld rejoint la griffe italienne Fendi, pour laquelle il dessine des fourrures et imagine son fameux logo, toujours utilisé aujourd’hui. Une collaboration avec la marque du groupe LVMH qui se poursuivra jusqu’à sa disparition, Lagerfeld ayant dessiné les collections qui seront présentées par Fendi le 21 février 2019.
Le « Kaiser » de la mode
En 1983, Karl Lagerfeld fait son entrée chez Chanel, alors en grande difficulté, dont il devient directeur artistique pour l’ensemble des « collections Haute couture, prêt-à-porter et accessoires ». Il redéfinit de fond en combles l’esthétique de la griffe, en imposant le noir et blanc et en faisant appel à des égéries comme Inès de la Fressange ou Vanessa Paradis, propulsant la maison de la rue Cambon dans l’ère du logo et du mass market. Quatre fois par an, lors de chaque Fashion Week, son apparition à la fin des défilés est scrutée par tout le gotha de la mode : il devient le « Kaiser » et s’impose, pendant plus de trois décennies, comme l’une des figures les plus emblématiques de la couture.