|
|
Présent dans toutes les valises à l’heure de fondre sur les plages, le maillot de bain est devenu un symbole de la libération de la femme. Retour sur un siècle d’évolutions d’un bout de tissu qui en dit long.
Avant 1850, la plage est un lieu craint et respecté, entre manne nourricière et débouché naturel des dangers venus de la mer. Et puis les aristocrates décident d’en faire l’espace privilégié de leur villégiature balnéaire. Dans les familles normandes et bretonnes, on s’échange encore les témoignages de ces aïeux scandalisés par ces gens de la haute qui osaient se jeter à l’eau dans leur costume de bain. C’est l’époque où les corps victoriens commencent à se livrer aux regards. Un moment charnière dont témoigne l’apparition enchanteresse des jeunes filles en fleur sur la plage de Balbec dans le chef d’oeuvre de Proust. Chez les femmes, ledit costume est un ensemble froufrouteux pouvant compter jusqu’à six pièces qui ne laisse rien transparaître de la surface de la peau, pour le plus grand bonheur d’imagination du petit Marcel.
Le 20e siècle s’ouvre avec les premières revendications féministes organisées, incarnées par le mouvement des suffragettes. Dans la vie quotidienne, les stars donnent le ton, à l’image de ces sportives mises à l’honneur dans les illustrés. La championne australienne de natation Annette Kellermann ouvre la voie en faisant la promotion d’un maillot près du corps qui lui vaudra d’être arrêtée pour indécence à Boston en 1907.
Dans son sillage, la surface du costume de bains se réduit comme peau de chagrin à mesure que la voix des femmes se fait de plus en plus forte. Les vedettes d’Hollywood s’en font les promotrices, dans les limites du code Hays, qui proscrit l’affichage du nombril à l’écran. Le bas des modèles deux-pièces, qui existe déjà à l’époque (en fait depuis l’Antiquité : on en trouve des représentations sur des mosaïques romaines) doit impérativement monter jusqu’à la taille.
En France,1936 est une date clé : les congés payés voient déferler sur le littoral des dizaines de milliers de femmes en combinaison une pièce, les épaules dénudées mais le haut des cuisses encore sagement recouvert de tissu. La guerre vient marquer un coup d’arrêt à ce premier mouvement d’émancipation.
Et Bardot créa la femme
C’est peu dire que l’apparition de cette inconnue de dix-huit ans, photographiée le nombril à l’air sur la plage de Cannes, fait l’effet d’une bombe dans la France corsetée de 1953 qui garde à vif le souvenir des années sombres. Alors que débute l’âge atomique, c’est à un atoll du Pacifique qui a servi aux essais nucléaires américains que l’auteur de cette déflagration textile a voulu rendre hommage en le baptisant bikini. L’homme est français et s’appelle Louis Réard. C’est en 1946 qu’il divulgue son invention, non sans difficultés puisqu’il ne trouve aucun mannequin volontaire pour porter le fameux maillot. Seule une strip-teaseuse, Micheline Bernardini, accepte de le revêtir lors d’un défilé à la piscine Molitor.
A l’époque, personne ne croit au succès de cet ensemble minimaliste jugé scandaleux. Malgré la promo d’enfer de Bardot, il faut attendre plusieurs années avant que son usage se répande. Le cinéma aidant (Ursula Andress ! Raquel Welch ! Sophia Loren !), les années 70 marquent le triomphe du deux-pièces dans une France en voie de déchristianisation accélérée. Accessoire fétiche de la libération sexuelle, le bikini connaît une phase de miniaturisation où la nudité ne tient plus qu’à un fil. Les hommes qui ont grandi à cette époque conservent le souvenir moite des playmates en couverture de Lui, vêtues d’un mince barrage contre le désir.
Les femmes, elles, alternent désormais au gré de leurs envies entre différentes nuances de deux-pièces et le bon vieux maillot une pièce qui n’a pas dit son dernier mot. Dans les années 90, Chanel fait du maillot une de ses pièces maîtresses, jusqu’à le rapprocher d’une tenue de mariée avec son modèle incrusté de cristaux présenté lors du défilé couture printemps-été 2019.
Aujourd’hui, critiques de la marchandisation des corps et tenants d’un nouveau rigorisme religieux s’allient pour en faire une fois encore un objet sulfureux. Le législateur et la mode se sont tous les deux emparés du burkini, dont l’apparition sur les plages françaises rejoue tous les étés à l’envers le scandale Bardot. Preuve que le « costume de bain » n’a pas fini d’épuiser son potentiel symbolique et polémique.