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Le scandale provoqué par la marque italienne Dolce & Gabbana révèle le poids commercial et l’influence croissante des consommateurs de luxe chinois. Et, parmi eux, la montée en puissance des Millennials, dont l’opinion compte plus que jamais pour le secteur.
Scandale dans l’Empire du Milieu. Mi-novembre, la marque italienne de luxe Dolce & Gabbana prépare son grand défilé à Shanghaï, prévu le 21. Elle publie sur le réseaux social Instagram une série de courtes vidéos destinées à promouvoir l’évènement. Sur l’une d’elles, on peut voir une femme d’origine asiatique, aussi sophistiquée que stéréotypée, s’essayer à déguster une pizza et un gigantesque plat de pâtes italiennes avec des baguettes. Des « petits bâtons servant de couverts », décrit une voix off masculine.
Sur la toile chinoise, le « bad buzz » est immédiat. Et renforcé lorsqu’apparaissent sur Internet des copies d’écran d’une discussion attribuée à Stefano Gabbana, l’un des deux créateurs de la marque éponyme, dans laquelle le designer a recours à des émojis d’excréments pour qualifier la Chine. Le Web chinois s’emballe : en dépit des excuses immédiatement formulées par les deux créateurs italiens, les appels au boycott de Dolce & Gabbana fleurissent.
Le mot-dièse « DG Show Cancelled » est vu 490 millions de fois, conduisant, de fait, le défilé à être repoussé, puis annulé en catastrophe. Les principales plateformes de e-commerce chinoises, comme Tmall (Alibaba) ou JD.com, retirent les produits Dolce & Gabbana de la vente. Les internautes chinois se déchaînent contre la marque. Pour la griffe italienne, qui compte plus de cinquante magasins en Chine et qui réalise 35% de son chiffre d’affaires dans ce pays, la séquence médiatique représente une catastrophe commerciale et, pire, un préjudice d’image aux conséquences encore difficiles à appréhender sur le long terme.
Les « diktats » des « luxe native » chinois
Pour l’édition des Echos du 25 novembre, « le scandale provoqué par Dolce & Gabbana a mis en lumière l’extrême réactivité des internautes chinois à la communication des marques de luxe occidentales », confirmant « à quel point la communication du monde du luxe en Chine peut se révéler un exercice aussi stratégique…qu’acrobatique pour les marques du secteur ». Et le quotidien économique de pointer le rôle de plus en plus prépondérant joué par les « luxe native », ces jeunes Chinois nés dans un pays où les marques de luxe occidentales font désormais partie intégrante de leur quotidien et de leur univers mental.
« ‘Ces consommateurs vivent dans une Chine tournée vers le futur, et ne sont pas réceptifs aux communications axées sur le « storytelling », le savoir-faire artisanal… qui fonctionnaient il y a encore dix ans’, confirme Feng Huang, managing director et patron de la création de l’agence FF Shanghai (FF Group) . ‘Ils recherchent des marques qui leur correspondent. Toute la problématique des maisons de luxe occidentales consiste à s’adapter à cette clientèle à l’avant-garde de la technologie et de la consommation, tout en restant fidèles à leur héritage et leur culture’ », analysent les Echos, qui n’hésitent pas à parler de « diktat » de cette jeune génération.
La Chine contribue à 70% de la croissance du luxe
Pour comprendre à quel point l’Empire du Milieu est un marché stratégique pour les marques de luxe, il faut savoir que les clients chinois achètent aujourd’hui 32% de leurs produits dans le monde, selon une étude de Bain & Co – et même jusqu’à 50% des produits de certaines griffes. Ils contribuent ainsi à 70% de la croissance du secteur, selon une autre étude réalisée par Morgan Stanley. Et parmi ces consommateurs, les jeunes Chinois absorbent environ 30% des ventes du secteur.
« On constate l’émergence en Chine d’une classe supérieure ou moyenne supérieure très vigoureuse », souligne le PDG de L’Oréal, Jean-Jacques Agon. « Et ce qui change est désormais que les ‘Millennials’ de cette classe n’ont absolument aucune hésitation à acquérir des produits de luxe ». Contrairement à leurs parents, qui pensaient avant tout à économiser, les jeunes Chinois, souvent des enfants uniques très choyés, qui baignent dans cet univers de luxe depuis leur plus tendre enfance, n’hésitent pas à dépenser.
Ils dépensent d’autant plus qu’à la différence de leurs aînés, ils ne se sentent pas concernés par la récente campagne de lutte contre la corruption engagée par le régime communiste et le président Xi Jinping, campagne qui avait engendré une contraction de la croissance et de la consommation intérieure chinoises. Après quelques années de vaches maigres, les ventes du secteur du luxe en Chine ont même enregistré une hausse comprise entre 15% et 20% au cours du premier semestre 2018, selon une étude réalisée par McKinsey. De bonnes perspectives, donc, qui encouragent les marques de luxe à ouvrir de plus en plus de points de vente et, comme Louis Vuitton, Gucci et bientôt Hermès, à lancer leurs propres sites chinois de vente en ligne.